SOUS LE SIGNE DU CAPRICORNE

Bouquetin ibérique, grand mâle   © Djépi

Photos : Isa, Nad, Djépi

Texte : Djépi

  • Février 2024, Mercantour, France

Nous remontons la large vallée au long du rugueux sentier. Pas de neige cette année, seuls les sommets sont enveloppés d’une pauvre cape blanche déchirée. Proche de nous, un chamois mâle encore hirsute semble nostalgique du rut, pourtant révolu depuis plusieurs mois. Sur la pente, pâturent de petites hardes de femelles et de jeunes. Mes jumelles balaient un groupe d’animaux au pelage plus clair, affalés sur des blocs de roches : des bouquetins ! 

Un groupe d’animaux affalés sur des blocs de roches : des bouquetins   © Djépi

Notre plan d’action est vite établi : par un chemin de chèvres, nous allons grimper pour nous en approcher… Des souvenirs me remplissent la tête.

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C’était en novembre 2011, au même endroit ou presque. Michel et moi, les pieds dans la neige cette fois, avions assisté à de belles scènes du rut du chamois. Très énervés, les mâles étaient venus caracoler à quelques mètres. 

Nous avions assisté à de belles scènes du rut du chamois   © Djépi

Et puis, sur le retour, nous avions découvert deux gros bouquetins, haut dans la pente. Très haut… Mais n’écoutant que notre curiosité, nous nous étions mis à grimper vers eux, pour mieux les voir.

Après une heure d’efforts, nous avions rejoint les animaux, parfaitement indifférents à notre approche. Mais ce qui n’était pour eux qu’une jolie terrasse avec vue était pour moi une vire vertigineuse. Après quelques photos à bout portant, nous avions dégringolé la pente, et les rares cheveux qui occupent mon crâne se dressent toujours au souvenir vertical de la descente…

Ce qui n’était pour eux qu’une jolie terrasse avec vue...   © Djépi

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Cette fois, c’est plus simple et sans risque. Michel nous assure que les bouquetins ne sont pas craintifs, et que nous ne les dérangerons pas, pour autant que nous prenions la précaution de les approcher par-dessous. Leurs gènes se souviennent sans doute du temps où les loups manœuvraient pour les surprendre par-dessus, afin de les forcer à la course dans la pente.

A trois cette fois, avec Isa, nous montons par étapes, vérifiant que les animaux ne s’inquiètent pas. Mais ils n’ont cure de ces bipèdes lents et patauds. Les bouquetins remplissent désormais mon viseur, je décide de ne plus avancer. Ce sont des mâles, dont plusieurs de fort belle taille. L’un d’entre eux fait la sieste, affalé sur un rocher. 

L’un d’entre eux fait la sieste, affalé sur un rocher   © Djépi

Mais son voisin en a décidé autrement et vient le provoquer pour une joute amicale. Simple jeu, ou manière de renforcer la hiérarchie au sein du groupe ? D’autres se mettent à brouter en se dirigeant droit vers nous. Paisibles, les derniers se contentent d’admirer le paysage. J’observe que certains ont le bout des cornes émoussé, alors que d’autres les ont pointues. Est-ce avec l’âge que les cornes s’usent ?

Simple jeu, ou manière de renforcer la hiérarchie au sein du groupe ?    © Djépi

Nous redescendons vers le sentier, laissant les animaux à leur vie aérienne et paisible. 

Dire qu’au début du 19è siècle, le bouquetin des Alpes avait été quasiment exterminé à coups de fusil… Ce sont les rois de Piémont-Sardaigne Charles-Félix et Victor-Emmanuel II qui ont sauvé l’espèce en interdisant sa chasse sur les terres royales. Aujourd’hui, heureusement, elle prospère de nouveau.

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  • Avril 2024, Sierra de Gredos, Espagne

Cette année est, pour nous, placée sous le signe du Capricorne (*).

Nous sommes encore en voiture, à l’entrée du vaste parking d’où part la rando la plus connue au cœur de la Sierra de Gredos, quand Isa détecte un animal dans les rochers. Nous sautons dehors en saisissant les téléobjectifs. C’est un cabri solitaire. Il semble un peu désorienté et, de bloc en roche, descend droit sur nous, avant de remonter prestement à l’arrivée d’un autre véhicule.

C’est un cabri solitaire, un peu désorienté   © Djépi

Mais Isa a déjà repéré quelque chose de plus imposant, un peu en contrebas. Une belle paire de cornes émerge du chaos minéral et nous voyons un grand mâle traverser nonchalamment le torrent, là où aucun humain sensé n’aurait l’idée d’aller risquer ses os. Atteignant la rive herbeuse, il se met à brouter sans attendre. Comme la route longe le flot, je n’ai aucune difficulté à suivre ses déplacements et à le photographier.

Une belle paire de cornes émerge du chaos minéral   © Djépi

Ma tête est encore remplie du souvenir des bouquetins alpins, et je distingue facilement ce qui distingue les espèces. Le cousin ibérique est plus svelte et ses pattes sont ornées d’élégantes bandes noires. Ses hautes cornes torsadées ont une forme de lyre. 

Ses hautes cornes torsadées ont une forme de lyre   © Djépi

Ce bouc adulte a fière allure et, de toute évidence, il est aussi indifférent à la présence humaine que l’étaient ses collègues du Mercantour. Comme eux, il adhère à la règle sociale qui veut que les mâles adultes ne fréquentent les femelles que durant le rut hivernal. Celui-ci est ainsi solitaire. 

Nous le laissons tondre son gazon fleuri et entamons notre rando.

Piquenique sur un vaste replat encore marbré de neige   © Isa

Après le piquenique, installés sur un vaste replat encore marbré de neige, nous apercevons grâce aux yeux d’Isa un beau groupe de bouquetins sur le pré qui entoure un refuge inoccupé. Ils sont une vingtaine au moins, sans grand mâle, et nous décidons d’aller voir ce qu’il en est.

Des cabris, mais aussi des jeunes mâles et plusieurs étagnes  © Djépi

Il y a là des cabris, mais aussi des jeunes mâles, d’autres plus âgés, et plusieurs étagnes (chèvres), reconnaissables à leurs petites cornes droites. Deux mâles sont déjà adultes, mais ils ne sont pas encore de grande taille et ils ne jouent probablement aucun rôle reproductif. C'est peut-être pourquoi ils sont en compagnie des chèvres et des jeunes. Ou alors, ils paratagent seulement momentanément le même pâturage. 

 Les jeunes boucs, très turbulents, jouent à la guerre   © Djépi

Sans aucune crainte, nos adultes broutent, alors que les jeunes boucs, très turbulents, jouent à la guerre au sommet des blocs granitiques. Nous finissons par nous retrouver entourés de bouquetins et Nadine doit s’écarter pour laisser passer un des mâles qui, de toute évidence, ne la considère pas comme un obstacle infranchissable. 

Un des mâles ne la considère pas comme un obstacle infranchissable...   © Djépi

Pourquoi donc nous sommes-nous chargés de téléobjectifs..? Laissant la troupe à son déjeuner, nous poursuivons notre excursion.

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Le sentier se glisse abruptement entre des murailles minérales   © Nad

Le lendemain, nous allons randonner sur le flanc méridional de la Sierra de Gredos. Le panneau informatif nous annonce la découverte d’un "univers vertical". Et il n’est pas trompeur : le sentier, remarquablement aménagé, se glisse abruptement entre des murailles minérales. Partout à nos pieds, des crottes de bouquetins, mais nous avons beau scruter les parois, aucune corne en vue.

Isa a beau scruter les parois, aucune corne en vue     © Djépi

Le bouquetin ibérique est en expansion dans toute la péninsule, mais il n’est pas partout aussi familier car, en certains endroits, il fait l’objet d’une chasse au trophée. Lamentable passion de réduire l’esprit vivant de la montagne à une tête grimaçante accrochée au mur du salon… Les sous-espèces pyrénéenne et portugaise ont ainsi été exterminées.

Des têtes curieuses surgissent pour examiner le poussif bipède   © Djépi

Un roulement de cailloux me tire de mes pensées et un gnôme barbu apparaît sur l’étroit sentier, 10 mètres devant moi. C’est un bouquetin mâle, encore jeune. Après m’avoir jeté un regard blasé, il poursuit son chemin et je constate qu’il rejoint un petit groupe, un peu plus haut. 5, 6, 7 têtes curieuses surgissent pour examiner le poussif bipède. Outre mon mâle, il y a là une étagne adulte, visiblement pleine, et des jeunes. A nouveau un groupe mixte, toujours sans grand mâle.

Une étagne adulte, visiblement pleine   © Djépi

Alors que les animaux broutent, caracolent ou jouissent de la vue, le ciel vire au gris et l’orage tonne dans la vallée. Hélas, il nous faut quitter nos agiles compagnons et descendre sans tarder. 

Que de belles rencontres détendues, avec ces animaux libres mais confiants !

Le ciel vire au gris et l’orage tonne, il nous faut quitter nos agiles compagnons   © Djépi

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(*) Le capricorne est, dans la mythologie, un animal fabuleux avec une tête et un corps de chèvre terminé par une queue de poisson. Il a été placé au ciel par Jupiter sous forme de la constellation du même nom.


Bouquetin des Alpes, vieux mâle   © Djépi
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