BRAME 2024 5. POUR VIVRE HEUREUX, VIVONS CACHES

 

En 2024, Gauguin a mené discrètement son brame au coeur de la remise de Tårbæk   © Djépi

Photos et texte : Djépi

Quand on suit le brame et que l’on a l’opportunité, comme c’est le cas à Dyrehaven, d’observer les animaux dans d’assez bonnes conditions pour pouvoir les reconnaître, on se rend compte que l’on rencontre toujours les mêmes cerfs.

Ce sont d’abord les cerfs tenant les places importantes, punaisés à leur clairière, bien en vue, tant qu’ils ont l’énergie d’y maintenir rassemblée leur troupe de biches. Ils peuvent passer une semaine ou 10 jours sur un espace de quelques hectares. Ensuite, épuisés, ils disparaissent.

En bon cerf de place, Pattex resta "collé" à son poste de Trepile durant tout le brame   © Djépi

Ce sont aussi les cerfs satellites, gravitant autour des précédents et tentant sans relâche de surprendre leur vigilance pour récupérer quelques biches. Ce sont souvent eux qui « font le show » à grand renfort de démonstrations sonores, de courses en tous sens et de bagarres hasardeuses.

Le jeune Lambda fut un satellite très agité autour de Tårbæk.   © Djépi

Ces stratégies doivent être payantes sur un plan reproductif, puisque beaucoup d’animaux les adoptent. Mais d’autres cerfs chérissent plutôt, durant leur brame, le principe « pour vivre heureux, vivons cachés ». Ce ne sont pas les plus glamour, ce ne sont pas eux qui remplissent les cartes mémoires des photographes, mais peu importe si cela assure leur succès en tant que reproducteurs.

Visitant la réserve de Dyrehaven depuis plusieurs années, je connais évidemment les principales places de brame, mais aussi quelques recoins à l’écart où trouver des adeptes de la discrétion…

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Mistigris

Un peu à l’Ouest des places principales, s’élève un petit promontoire couronné d’une belle pâture. Un sentier peu fréquenté passe à 50 mètres, mais l’endroit est bien dissimulé par un talus et un rideau de bosquets. Quand on se dirige par-là en quittant les canonnades des lignes de front, on a la sensation de pénétrer un univers de calme. Mais en dressant l’oreille, on distingue des cris gutturaux venant d’en haut… Chaque année, la pâture est occupée par une harde et un cerf amateur de discrétion.

En 2024, Mistigris a régné durant quelques jours sur la "clairière secrète"   © Djépi

Il pleuvait abondamment quand je me suis risqué à monter vers la clairière « secrète », cette année. Ici, il convient d’arriver discrètement, car les animaux ne sont pas habitués à la présence d’admirateurs (je n’en ai d’ailleurs jamais croisé aucun !). Un grand cerf à la ramure désordonnée comptant 24 cors veillait sur une quinzaine de non-boisés. Je l’ai baptisé Mistigris. 

Plutôt que de tenter sa chance autour de la place centrale, sans succès, comme Calmos ou Emile, Mistigris a opté pour un statut inférieur, mais avec les plaisirs d’une bonne compagnie. Du moins durant quelque temps car, deux jours plus tard, je l’ai trouvé seul, fatigué déjà, et couché à couvert.

Je découvre Mistigris, fatigué et couché à couvert   © Djépi

Shower

Je tourne à vélo à la recherche de Galaxy, le cerf blanc, et de sa harde. Un collègue photographe tchèque m’a renseigné l’endroit où le trouver. Il pleut des cordes, la visibilité est exécrable. Pourtant, je distingue des formes près d’un bouquet d’arbustes. Pensant avoir repéré ma cible, j’approche.

Il pleut des cordes, mais je distingue des formes près d’un bouquet d’arbustes © Djépi 

Si j’ai probablement retrouvé la harde qui accompagnait Galaxy la veille, ce n’est en tous cas plus lui qui l’escorte. Un beau 20 cors robuste, dont le pelage roux est obscurci par l’eau qui ruisselle, est paisiblement couché parmi les biches. Shower – ainsi l’ai-je baptisé – a sans doute écarté Galaxy, et s’est approprié la troupe. Il est à 2 km du noyau central de brame, loin des agitations et assuré d’une belle tranquillité. Retournant d’autres fois dans les environs, je ne l’y ai plus revu, ni lui ni aucun autre cerf ou biche d’ailleurs. 

Shower s'est installé loin des agitations du noyau central du brame   © Djépi 

Mais un jour, au loin, près de la frontière Ouest de la réserve, j’ai aperçu une troupe au beau milieu des prairies. Était-ce Shower et ses biches, plus au calme que jamais ?

Modeste

Je viens de croiser L’Optimiste qui mène grand tapage autour de la remise de Tårbæk. C’est un cerf encore jeune, mal boisé, mais qui y croit et sillonne en tous sens le noyau central à la recherche d’une opportunité. Je l’ai vu en combat face à Cassius qui n’est pas un gringalet, et il en est sorti vainqueur… mais cela ne lui a pas rapporté de biches puisque Cassius était aussi solitaire que lui ! 

Le combat entre L'Optimiste et Cassius (de dos) est sans enjeu   © Djépi

L’Optimiste et Cassius sont de ceux qui font le show et courent des risques, sans grands résultats. Durant son vain combat, Cassius a reçu une blessure près de l'oeil droit.

Cassius a reçu une blessure près de l'oeil droit   © Djépi

J’ai pédalé quelques hectomètres en sous-bois, et le cerf que j’ai maintenant dans les jumelles agit bien différemment. Sous les arbres, loin des clairières agitées, il couve sa harde d’une quinzaine de non-boisés. Derrière les troncs, il passe d’ombre en pénombre et ne se laisse pas observer aisément. 

D’autres photographes impatients ont enfreint le règlement et tenté de l’approcher en quittant le chemin. Avec pour seul résultat de voir les animaux s’enfoncer plus loin sous le couvert, hors de vue.

Modeste passe d’ombre en pénombre et ne se laisse pas observer aisément   © Djépi

Moi, j’ai attendu et je tiens maintenant le cerf dans mon objectif, à moins de 50 mètres. C’est Modeste. Il pointe cette année 22 cors. Je l’avais croisé près de la clairière « secrète », en 2022. Sa ramure était encore… modeste, quoique comptant déjà 22 cors (*), et il était couché, ruminant sa déception de ne pouvoir concurrencer L’Eventail qui, cette année-là, monopolisait les biches du coin.

 Maintenant, il est devenu cerf de harde, mais il reste à l’écart du gros Twix, son voisin direct, et des nombreux trublions qui pourfendent les alentours en tentant un bon coup, comme L’Optimiste.

Modeste reste discrètement à l'écart de ses voisins. Cela semble plaire aux biches.   © Djépi

Modeste porte bien son nom, mais la modestie n’est-elle pas une qualité ? En tout cas, on dirait qu’elle plaît aux biches.


(*) La ramification de la ramure, c’est-à-dire son nombre de cors, n’est en rapport ni avec l’âge du cerf, ni avec la taille des bois. On trouve de jeunes et de vieux cerfs ramifiés ou non, et avec des ramures modestes ou puissantes. Jouissant d’un milieu très favorable et d’une excellente nourriture toute l’année, non affectés par la chasse au trophée, les cerfs de Dyrehaven développent des ramures nettement plus puissantes et ramifiées que ceux de nos forêts. Un adulte comptant moins de 20 cors est inhabituel.

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Tous les articles sur le brame 2024 à Dyrehaven (Danemark)

La photo publicitaire : à la rencontre du cerf blanc

L'irrésistible ascension : Sleepy accède au trône suprême

Le mode d'emploi : quand une biche d'Offenbach sait se faire comprendre

Un colosse de carton : la déception de Twix

Pour vivre heureux, vivons cachés : la stratégie des cerfs discrets


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