Des cerfs au menu, épisode 2/4

Voyez aussi le PREMIER EPISODE

Les ambitieux

En ce début d’octobre, le rut bat toujours son plein et tous les cerfs ne sont pas encore vaincus ou résignés...

Joli Quatorze est adulte mais jeune. Élégant, équipé d'une belle ramure, il a cru en sa chance et est allé assiéger obstinément JL et sa harde durant plusieurs jours, tentant de détourner quelques dames séduites par sa jeunesse. Mais JL veillait et quand Joli Quatorze l'a affronté tête basse, il a été sèchement remis à sa place en quelques secondes seulement. 

Le joli cerf rode toujours autour du harpail. Mais quand JL se lève et lui fait comprendre son état d'esprit d'une voix puissante, il entame un détour et va calmer ses nerfs en martyrisant l'un ou l'autre ado qui ne s'est pas écarté à temps de son chemin.

Joli Quatorze hume avec envie l'odeur des biches en chaleur, mais une confrontation orageuse avec JL lui a appris à être prudent... © Djepi

De l'obscurité du sous-bois, à 150 m de la troupe de biches, sort parfois un gros raire. Je distingue à peine la forme massive d'une imposante bête couchée et qui dodeline de la tête en agitant les fourrés. Qui est ce cerf, assez assertif pour défier JL de près, mais trop prudent pour le provoquer à découvert ? Patience : certains acteurs sont encore en coulisses.

Couché dans la pâture, à un jet de pierre de la harde, sans cesse attentif à la tournure des choses, Le Crabe s'affirme en ennemi personnel n°1. C'est un molosse d'âge mûr, avec le corps puissant d'un taureau, balafré par les nombreux combats du passé. Sa voix caverneuse fait passer les raires de JL pour des comptines de fillettes. Mais il n'a pas été gâté par la nature pour la ramure, ses douze cors mal semés et une empaumure flétrie sont loin de rivaliser avec la couronne royale de son adversaire. Le Crabe n’a d’autre choix que d’adapter sa stratégie à ses moyens.

Puissant comme un taureau mais mal boisé, Le Crabe attend son heure. © Djepi

La troupe fait mouvement

16 heures sonnent, le soleil a tourné et la biche meneuse décide de déplacer la troupe vers les pâturages ombragés de la vallée. Pour JL, le moment est critique car Le Crabe s'est astucieusement placé sur leur chemin, et l'inconnu du sous-bois est tout proche, lui aussi. Pas question de se laisser intimider, JL force les biches à presser le pas et les escorte. Le Crabe, qui se lève précipitamment, s'écarte à son passage.

JL accompagne les biches qui partent pâturer dans la vallée. © Djepi

Les 40 bêtes arrivent bien groupées dans la plaine qui borde la rivière. JL en profite pour s'esquiver un instant afin d'aller se rafraîchir et se laquer. Le Crabe a suivi le mouvement, c'est précisément l’instant d’inattention qu'il attendait. Sans la moindre hésitation, il rejoint les biches et les regroupe autour de lui en bramant.

Sans attendre, Le Crabe s'introduit dans la harde alors que JL s'est absenté quelques minutes. © Djepi

Les dames débonnaires semblent s'accommoder parfaitement de ce changement de situation, mais il n'est pas du goût de JL qui émerge furieux de la souille. Immédiatement, d'un trot seigneurial, il se dirige sur Le Crabe. Le taureau sait bien qu'il n'est pas armé pour affronter l'artillerie lourde qui déboule, et il fait volte-face.

A ce moment précis, sortant du bois et lancé à toute allure, un cerf au poil sombre maculé de boue se jette dans le groupe, espérant effrayer quelques biches et les emmener avec lui. Voici Papy, le doyen. C’est lui qui attendait, sournoisement tapi dans l'obscurité du bosquet. Il n'est ni le plus grand, ni le plus fort, mais c'est son neuvième ou dixième brame et il connaît la chanson mieux que quiconque.

Papy s'invite au bal des séducteurs. Il compte plus son expérience que sur sa force. © Djepi


Le grand seigneur, l'obstiné et le vieux malin

Face à ce nouveau défi, JL abandonne Le Crabe pour contrer les ambitions de l'aïeul qui n'a pas l'intention d'y perdre un bois et s'écarte prestement. Evidemment, Le Crabe saisit la nouvelle opportunité pour entrer à nouveau au cœur de la harde et le maître de place doit intervenir sans attendre. 

 

Le Crabe emplit la vallée de sa voix de stentor. © Djepi

Les trois cerfs s'époumonent et la vallée est secouée par leurs salves de gros calibre. JL est pris en tenaille entre deux concurrents aussi vigoureux qu'expérimentés, mais lui non plus n'est pas tombé de la dernière pluie. A chaque tentative, sans se décourager, avec calme et autorité, il se dirige vers l'un puis l'autre, tête haute. Le Crabe pousse l'escalade jusqu'à un bref épisode de marche parallèle, mais il n'insistera pas : c’est beaucoup trop risqué.
Le Crabe défie JL en marche parallèle, dernière étape avant le combat. Mais il connaît trop bien les arguments de son concurrent pour courir ce risque. © Djepi

Finalement repoussés en marge du harpail, les deux challengers se hurlent leur hargne face à face.

Papy décide de vider les lieux, il est le moins le robuste des trois et il ne l'ignore pas. Mais il est aussi le plus malin car 300 m plus loin, en lisière d'un bosquet écarté, l'attendent six jolies biches-infirmières, toutes dévouées à lui apporter les soins que requiert son grand âge. Le cinéma belliqueux de Papy n'a d'autre effet que de détourner l'attention des dominants et de préserver les douceurs de sa retraite. Chez les cerfs aussi, l’expérience vaut de l’or !

Papy quitte la place sans trop de regrets : ce n'est pas une morose solitude qui l'attend ! © Djepi

Quarante non boisés à surveiller sans relâche, même pour un cerf de l'ampleur de JL, c'est trop. Le Crabe vient et revient encore le défier. Il parvient à regrouper autour de lui plus de la moitié des biches. Dépité par le succès de l'affreux bovin qui n'a pas même pas eu l'audace de l'affronter à la loyale, JL s'écarte avec ce qui lui reste du harem.
Obstiné et puissant, Le Crabe finit par récupérer plus de la moitié des biches. © Djepi


Où avez-vous vu tout ça ?

Depuis 30 ans, j'assiste chaque année au brame du cerf. En lisière des grandes forêts d'Ardenne belge, j'ai saisi poursuites, marches parallèles, combats, saillies... Mais les choses ont bien changé.

Le brame est devenu une attraction touristique, des milliers de personnes affluent vers les endroits connus. Des centaines de photographes poursuivent les animaux sans honte ni relâche. Avec deux effets pervers. D'une part, cerfs et biches quittent les zones ouvertes qu'ils affectionnent et se réfugient au fond des bois pour se reproduire tranquillement. D'autre part, l'administration interdit l'accès aux zones de brame, non pour protéger le cerf mais sous la pression des chasseurs qui craignent de voir leur chère ($$$) harde repoussée sur les terres du voisin. Aujourd'hui, le brame, c'est "circulez, y a rien à voir".

Pour assister à ce merveilleux spectacle naturel, je me suis ainsi rendu dans un vaste parc ardennais où un cheptel de 80 cerfs et biches, circulant librement, ni chassés ni harcelés, se sont progressivement accoutumés à la proximité de l'homme et dévoilent sans fard leur vie privée. Je ne l’ai pas regretté.

Merci JL, pour le spectacle. © Djepi



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