Des cerfs au menu, épisode 1/4


Le brame : un exaltant théâtre d’impro

On a dit et écrit tant de choses sur le brame, asséné tant de vérités intemporelles à son sujet... Mais ce grand spectacle naturel est avant tout une mouvante pièce de théâtre d’improvisation, complexe et imprévisible, où chaque acteur joue désespérément son rôle, en fonction du talent dont il dispose, et de celui de ses partenaires. Chaque jour de brame qui passe dresse un nouveau décor et ouvre un nouvel acte exaltant.

Je vous invite à partager une fin de journée d’octobre avec moi, parmi les cerfs.

 

JL et sa cour

L'après-midi d'automne s'avance, mais le soleil est toujours vif et les biches ruminent tranquillement dans l'ombre de la lisière. Faons de l'année, bichettes et biches forment un groupe d'un peu plus de 40 animaux, jalousement gardé par le maître de place, JL.

Un instant de tendresse entre JL et une des favorites. © Djepi

 
JL a une dizaine d'années, il est à son apogée. Trop peu de cerfs atteignent cet âge dans nos forêts surchassées. Sa ramure puissante, écartée en coupe, affiche 9 cors à gauche et 7 à droite, faisant de lui un 18 irrégulier. 

Bien bâti, impressionnant, il règne sans partage sur la harde depuis 15 jours déjà. Ce n'est pas une tâche de tout repos. A chaque instant, un daguet angoissé tente de venir rejoindre sa mère et JL doit l'expulser. Un adolescent de trois ou quatre ans tourne aux alentours : il doit être reconduit manu militari vers le club des jeunes raisonnables qui ont prudemment pris leurs distance. Si une bichette part folâtrer, attirée par un Don Juan de passage, JL va la rechercher et la ramène dans le groupe tout en évacuant le présomptueux.

Totalement intolérant, JL chasse un malheureux daguet qui essayait de se rapprocher de sa mère au sein de la harde. © Djepi

Et bien sûr, il s'agit aussi de faire une cour assidue à ces dames, si lestes à se dérober lorsqu'elles ne sont pas réceptives ! Dès que des effluves agréables chatouillent ses narines sensibles, il se précipite derrière la coquette qui le distance sans peine en louvoyant. Irrité, il lèche l'urine répandue sur l'herbe, hume l'air en retroussant les babines, laboure le sol de ses bois, entrant immédiatement en érection et éjaculant parfois.

Séduire les biches n'est pas une mince affaire et demande beaucoup d'énergie. © Djepi

Bref, alors que les non boisés qui l'entourent somnolent tranquillement, JL ne connaît que rarement un instant de repos. Surtout que, tout autour de lui, des concurrents avides de séduire attendent la moindre faiblesse, la moindre distraction de sa part ...


Les déçus, les maladroits, les malchanceux

Derrière moi, des profondeurs du sous-bois de chênes et de charmes qu'octobre peint lentement de jaunes et de roux, sort régulièrement un rugissement auquel JL répond parfois. Il en vient de gauche, de droite, de partout.

A l'écart des adultes, les jeunes cerfs ferraillent entre eux. © Djepi


Brisefer est couché à 30 m à peine du sentier. Son premier brame l'a épuisé et se termine mal. Il n'a que 4 ans et il devrait plutôt jouer avec les gamins qui ferraillent un peu plus loin, mais il s'est cru déjà grand et fort et il a tenté sa chance. Couvert de boue, Brisefer diffuse autour de lui cette douce et prégnante odeur caprine du cerf en rut. Il bramotte de temps en temps.

Brisefer a surestimé ses forces et il paie les pots cassés... © Djepi


Quelques jours plus tôt, poussé par cet afflux de testostérone qui rend idiots tous les ados, il n'a pas hésité à affronter directement un des boss. Il a payé cher son imprudente impudence : sous la poussée du costaud, ses bois grêles ont cassé net au dessus des andouillers d'attaque. Désormais, il devra attendre un an et une ramure plus robuste pour tenter à nouveau d'entrer dans la cour des grands...

Aries, lui aussi, est éreinté. Affalé, il ne réagit même pas quand je m'approche et, presqu'aphone, se contente de mugir tristement. Il est adulte et il a joué crânement le jeu, mais ni sa ramure ni sa stature ne lui ont permis d'émerger. Il s'est consummé en vain, comme une bougie dans le néant. Quand les athlètes se retireront dans quelques jours, il n'aura même plus l'énergie d'aller convaincre une biche oubliée, et il devra assister au succès tardif d'un collègue plus patient.

Aries a été courageux, mais il fait partie des perdants. Il termine le brame à l'écart, solitaire et épuisé. © Djepi

Ce sera peut-être Chocolat, un douze cors élégant mais discret qui s'esquive dans le bois à la moindre présence cervine ou humaine et qui calme sa frustration en mettant à mal l'écorce des arbres.

Chocolat est-il vraiment timoré, ou attend-t-il seulement son heure...?

Que ce soit en août pour se débarrasser du velours ou durant le brame, les cerfs frottent leurs bois contre les arbres et occasionnent de sérieux dégâts à l'écorce. © Djepi

Pour Fleuret, ce brame est un nouvel échec. Le sort ne l'a pas favorisé : si son bois gauche est magnifique et déploie huit grands andouillers, le droit n'est qu'une longue perche lisse. Il est en puissance un cerf dangereux au combat car son épieux affûté traverserait sans entrave la ramure du concurrent et pourrait lui infliger une mortelle blessure. Mais Fleuret a la guigne c'est le scénario inverse qui s'est déroulé. A la lutte, sans la protection de ses andouillers, il a eu l'oreille droite arrachée, et elle pend maintenant sous sa perche, comme un drapeau abandonné par le vent.

Fleuret est ce que l'on appelle une "tête bizarde" : son bois droit ne s'est pas ramifié. Au brame, il n'a pas sa chance. © Djepi



SUITE au SECOND EPISODE

 

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