Dyrehaven, le pays où les cerfs sont rois. Episode 2/5 : rivalités monarchiques
Rivalités monarchiques
Twix ne réagit pas le moins du monde aux rafales de déclenchements et à l’agitation bruyante du groupe de photographes hollandais. Il s’occupe de ses nombreuses biches, qui ne se soucient d’ailleurs pas davantage des indiscrets.
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C’est que Twix et sa troupe sont l’attraction n°1 de Dyrehaven en cette saison de brame. Le cerf et ses dames occupent en effet des quartiers d’accès facile, en zone dégagée et non loin de l’entrée principale de la réserve. A nos côtés, une demi-douzaine de téléobjectifs hollandais, un couple d’Espagnols, un autre d’Allemands, et quelques aficionados danois. La réserve est grande (11 km²) et beaucoup transportent leur matériel à vélo.
Il faut dire que Twix est un beau bébé. Il compte au minimum (*) 22 cors et pèse plus de 200 kg. Comme me l’expliquait un garde rencontré la veille, c’est un « cerf prometteur » de… 7 ans. La mue précédente du jeunot, alors qu’il n’avait donc que 6 ans et entrait juste dans la vie adulte sur la pointe des sabots, pesait 11,5kg. Cette année, il doit porter 12 kg sur la tête et, comme me disait le garde en souriant « dans quelques années, il deviendra beau »…
Je ne sais pas si c’était de l’humour face à un pauvre occidental habitué à des cerfs gringalets et mal boisés qui ressemblent plutôt à des chèvres… Mais je ne le crois pas : Twix n’est pas une exception à Dyrehaven, ses collègues sont du même format que lui.
Comme tous les cerfs de Dyrehaven, Twix arbore une ramure impressionnante. © Djepi |
La harde est installée confortablement en lisière d’un bosquet. Si le temps se gâte, il lui suffit de chercher abri sous les grands arbres et si un rayon de soleil trouve à se glisser entre les nuages scandinaves, elle n’a qu’à faire un pas dans la pâture pour en profiter. En plus, il y a de la distraction du matin au soir avec ces bipèdes aux manies étranges sur le sentier et les daims qui viennent faire la conversation. La belle vie !
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Twix fait sans faute le boulot imparti au cerf de harde. Il brame, poursuit les biches, muse, fait le show. Mais, quelles que soient sa taille et son énergie, il ne peut pas contraindre les biches à rester sur place quand elles ont décidé de bouger. Et, effectivement, une d’entre elles s’écarte dignement, avec cet air grave et hautain qui sied à la meneuse, entraînant dans son sillage les 40 ou 50 non boisés. Twix n’a d’autre choix que de les suivre.
Quittant la pâture et traversant le sentier, les dames jettent un long regard velouté et indifférent au groupe des photographes, et s’engagent, décidées, dans le sous-bois voisin. Où vont-elles… ? J’ai une petite idée et, laissant sur place mes collègues cosmopolites, nous levons prestement le camp.
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A 500m du royaume de Twix, s’étend l'empire de Spat. Aussi volumineux que son voisin, il doit être un peu plus âgé et affiche 20 cors. Sa voix est plus grave et plus puissante encore. Lui aussi vaque à ses occupations quand nous arrivons, et harder 25 biches n’est pas une sinécure.
La troupe est installée dans un bosquet dominant de vastes pâturages humides parsemés de mares et pointillés d’arbres séculaires. Portant sur le flanc les marques d’anciennes rixes, arborant un surandouiller brisé, Spat est très actif auprès de ses compagnes et garde un œil sur quelques impertinents daguets qui voudraient venir faire un bisou à maman.
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Les premières biches de la harde de Twix apparaissent en lisière, à quelques 100aines de mètres du bastion de Spat. Le gros cerf les regarde avec un intérêt non déguisé, mais ses naseaux doivent lui apprendre qu’elles ne sont pas seules. Et son ouïe lui confirme bientôt : Twix ne laisse pas les belles se promener sans chaperon et ponctue son chemin d’avertissements sonores.
Les biches de Spat dressent les oreilles et semblent très heureuses de voir apparaître leurs parentes. La meneuse ne tarde pas à mettre le cap sur les arrivantes en traversant le chemin. Inquiet, le gros 20 cors tente de s’interposer et fait, du même coup, comprendre à un cycliste qui passait par là que sa présence au sein de la harde n’est pas souhaitée (très joli sprint). Nous retrouvant, nous aussi, entourés d’animaux, nous reculons, par prudence.
Spat tente, en vain, d'empêcher ses biches de rejoindre celles de Twix. © Djepi |
Spat répond aux brames de Twix et la stéréo devient assourdissante. Je suis curieux et excité de voir ce qui va se passer et si les deux colosses vont s’affronter. Mais rapidement, Spat remonte dans le bosquet, laissant ses femelles rejoindre leurs cousines. Il fait un peu de bruit, en profite pour expulser un ado trop curieux, puis disparaît, penaud, sous les frondaisons. Je suis déçu de sa couardise : il est amplement de taille à rivaliser avec Twix. Mais il y a fort à parier que ces deux-là se connaissent bien et que chacun respecte la mauvaise humeur de l’autre…
Bosquets, arbres séculaires, prairie, mares... l'empire de Spat. © Djepi |
Twix se pavane maintenant fièrement parmi la troupe de 60-70 non boisés qui s’éloigne nonchalamment vers le bas de la prairie, mâchonnant les herbes flétries par l’automne. Il court à gauche, à droite, il se démène pour rameuter les distraites, les traînardes, celles qui cherchent autre part l’aventure… Un petit cerf Sika solitaire s’écarte au passage de son immense cousin et lui lance un regard envieux.
Hissant le matériel sur l’épaule, nous reprenons notre mission diplomatique vers les royaumes voisins. Avec 31 cerfs adultes aux alentours, le programme est chargé, même s’ils n’ont pas tous un trône !
En rut mais solitaire, un cerf sika adresse à Twix un regard envieux... © Djepi |
Revenant en
soirée sur la place qu’affectionne Twix, nous constatons que les photographes du
plat pays sont toujours là et s’activent. Le 22 cors est revenu, et il n’est
entouré que de la quarantaine de biches et faons de sa harde de départ. Après
leur visite de courtoisie, ses compagnes ont dû laisser leurs parentes
retrouver la protection de Spat.
Je comprends alors que les deux gros cerfs se partagent en fait les femelles d’une même harde, trop nombreuses pour qu’un seul mâle puisse les garder sous contrôle dans ce milieu où les concurrents sont nombreux et redoutables. Les biches sont très attachées à leurs parentes, à leurs amies, et toute la morgue agressive des cerfs en rut ne pourrait les empêcher d’aller retrouver régulièrement leur groupe.
Spat a repris le contrôle de la plus grosse partie de la harde, environ 60 biches et faons. © Djepi |
Quelques jours plus tard, revenant dans la zone, j’ai la confirmation. Toujours vissé à sa lisière, Twix n’est plus entouré que d’une demi-douzaine de compagnes et de quelques faons. Dans le fond de vallée, c’est maintenant Spat qui s’époumone et se démène autour de 60 admiratrices indisciplinées.
Le couple de photographes allemands m’explique qu’ils ont assisté un peu plus tôt à un bref combat dans la pénombre du bois séparant la place de Twix de celle de Spat. La lumière ne leur a pas permis de très bonnes photos, mais il semble que les monarques aient eu une explication orageuse, et que ce soit Spat qui ait eu, cette fois, les meilleurs arguments. Jusques à quand ?
Quoi qu’il paraisse, ce sont les biches, plus que les cerfs, qui écrivent le scénario de la série du brame.
(*) Chez les cerfs aux bois très ramifiés, le comptage des cors peut être sujet à interprétation car certaines pointes sont parfois peu marquées. Pour être comptées, elles doivent permettre d’y « accrocher le chapeau du chasseur »… Définition fantaisiste s’il en est ! On peut estimer qu’il faut environ 2 cm pour qu’un cor soit pris en compte.
Attribuer un nombre de cors précis à un cerf très ramifié n'est pas toujours simple. Twix, 22 cors au moins. © Djepi |
Ne manquez pas la suite de la série sur le brame à Dyrehaven : Pour vivre heureux, vivons cachés
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