Dyrehaven, le pays où les cerfs sont rois. Episode 4/5 : la mauvaise sieste de Sleepy

La mauvaise sieste de Sleepy

Deux jours plus tôt, nous avions observé dans ce petit bois obscur et fermé, milieu peu fréquent à Dyrehaven, un très gros cerf discrètement entouré de quelques biches, mais la troupe s’était progressivement enfoncée dans l’ombre et nous n’avions pas pu en savoir plus car aucun chemin ne menait à leur retraite. Certainement encore un cerf qui jouait la prudence, installé aux marges du domaine du redoutable Spat. Je l’avais baptisé Capitaine.

Le comportement du cerf sika en rut est très semblable à celui du cerf élaphe. © Djepi

Mais j’aime savoir, et je suis donc de retour sur les lieux. Un mâle de cerf Sika, ses petits bois tout enguirlandés, nous accueille avec son show. Lui aussi est en rut mais ce sont ses grands cousins qui nous intéressent davantage pour l’instant.

 Cela circule entre les troncs, et je vois plutôt des « branches » qui bougent que de grandes oreilles qui se dressent : ce ne sont pas des biches mais un groupe de mâles. Impossible de savoir exactement combien ils sont, ni de savoir si Capitaine ou un autre que je connais en fait partie. Une chose est certaine : il n’y a aucun une agressivité entre eux, ils se côtoient sans accroc. La période du brame est fort avancée, ces cerfs-ci se sont probablement déjà retrouvés entre amis et ont reformé leur clan. 

Les jeunes mâles, comme ce daguet fourchu, sont impitoyablement chassés par les adultes durant le brame. © Djepi

 

Des branches craquent, voilà que ça s’agite : les gros cerfs sont occupés à houspiller trois daguets et à les expulser du bois. Les gamins hésitants finissent par nous passer presque sur les orteils en traversant le chemin. Résultat de la sélection opérée par l’administration de la réserve en faveur des cerfs très ramifiés, l’un d’eux est fourchu et un autre porte déjà 6 cors… Pas étonnant que le mâle le plus ramifié de l’endroit en affiche 26 et qu’un ado de 16 cors est une banalité !

Houspillé par un hyper-dominant (Twix en l'occurrence), ce grand ado de 18 cors n'a d'autre choix qu'une fuite rapide. © Djepi

J’ai maintes fois constaté l’énergie avec laquelle les gros cerfs pourchassaient des gamins insignifiants durant la période du brame, alors qu’ils se montrent beaucoup plus circonspects en présence d’un autre adulte. En fait, ce n’est pas du tout illogique. Un daguet ou un cerf adolescent ne représente aucun risque pour un adulte si on en vient à la bagarre, par contre, il est déjà fertile et pourrait féconder des biches. L’adulte a donc tout avantage à le chasser au plus vite. 

Au contraire, un autre cerf mature présente toujours un risque de blessure, voire de défaite, en cas de combat, et il vaut mieux mettre en place une stratégie de menaces graduelles, dans l’espoir de le décourager avant d’en venir à la lutte : brame énergique, ensuite approche décidée, puis marche parallèle.

La marche parallèle est la dernière étape d'intimidation visant à éviter le combat entre deux cerfs. Cliché pris à Han-sur-Lesse. © Djepi

 

Alors que nous observons la retraite des daguets, un grand cerf sort du bosquet et traverse le chemin derrière nous ; je le suis à la jumelle. Il s’engage sous un boisement clair, et je m’aperçois que la place est déjà prise. Il y a là une poignée de biches et faons qui ruminent calmement et, parmi eux, un cerf balaise qui somnole. Bien sûr, je le baptise Sleepy ! C’est un gaillard de 20 cors qui semble plein de bonhommie et de tolérance, puisqu’un petit daguet fait partie du groupe, couché à côté de sa mère. 

Sleepy hume tendrement une bichette de son harpail. © Djepi

 

Sleepy finit par se redresser et va renifler délicatement une biche, qui le laisse faire sans crainte. Il regarde arriver Raphaël, qui traversait la route. Celui-là est un épouvantail, tout balafré avec une lourde ramure hérissée de 20 cors. Il n’a pas dû céder sa place sans combattre durant le brame, et il se met illico à importuner les biches. Sleepy ne réagit pas. Raphaël n’a d’ailleurs aucun geste agressif envers son compère non plus. 

Raphaël s'intéresse aussi aux biches de Sleepy, mais tout reste calme entre eux. © Djepi

 

Et voici que James, un jeune et élégant 18 cors, se joint à la joyeuse bande, dans l’entente la plus cordiale ! Je me dis que les chaleurs de ces biches sont passées, car l’ambiance entre les mâles serait alors certainement moins détendue. Tous ces animaux ont déjà tourné la courte page des agitations du brame.

Les seuls qui soient stressés sont les daguets. Voulant échapper à l’humeur bougonne du groupe d’aînés, ils se sont involontairement jetés dans la gueule du loup en filant droit vers le fief de Spat, qui n’a aucunement l’intention d’accepter l’intrusion. Alors que les jeunes ne savent plus trop où aller, le colosse remonte tempétueusement de ses terres et apparaît bientôt à la lisière basse du boisement. 

Les daguets ont fait un mauvais calcul : Spat leur barre le chemin. © Djepi

Ni Sleepy, ni Raphaël ne prennent cela trop au sérieux, sans doute sont-ils des proches amis de Spat au sein du clan des mâles, mais le jeune James est inquiet et il s’esquive en douce. Spat aperçoit les quelques biches alanguies et son sang ne fait qu’un tour : il se dirige droit sur le groupe en  bramant. Les daguets terrifiés s’évaporent, Raphaël file prudemment vers la gauche sans demander son reste et Sleepy regarde, réprobateur, le collègue qui vocifère : tout était si paisible, pourquoi venir interrompre sa sieste ? 

Spat insiste, les biches se lèvent, puis le rejoignent. Sans chercher plus d’ennuis, ayant obtenu satisfaction, le dominant redescend vers son domaine. 

Spat rameute les biches qui accompagnaient Sleepy. © Djepi

 

Sleepy se secoue et retourne vers la sérénité et l’ombre du bosquet. Ces biches étaient-elles les siennes ? Ou celles qui accompagnaient Capitaine dans l’ombre quelques jours plus tôt ? Avait-il profité de la nuit précédente pour aller chiper quelques femelles du vaste harem de Spat ? Ou le scénario est-il encore tout autre ? Je ne le saurai jamais… c’est le piment du brame !

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Abandonnant sans bagarre les biches à Spat, Sleepy regagne le bosquet. © Djepi