Echos du brame 2020 à Han, épisode 1/14 : en ce temps-là
Cerf en conserve au naturel
En ce temps-là...
A la fin du siècle passé, je suis devenu accro à ce grand spectacle que pouvait encore offrir notre pauvre nature martyrisée : le brame du cerf. « En ce temps-là », il était rare de rencontrer un autre aficionado sur les places, et c’était toujours un passionné, fin connaisseur de l’espèce et de la forêt. Les animaux venaient bramer en prairie ou en clairière et, moyennant les précautions habituelles (odeur, bruit, camouflage), l’observation se passait dans d’excellentes conditions. Ca m’a laissé des images magnifiques dans les yeux ; combats, “chandelle”...
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Grand 8 cors perpétuel photographié vers 2005 en lisière d'un village d'Ardenne belge. Les animaux ont fui cette belle place depuis bien longtemps...© Djepi |
Ensuite, avec l’ère de la photo numérique facile et pas chère, sont arrivées les hordes de photographes sortant leur beau matériel pour l’occasion et n’hésitant pas, afin d’obtenir quelques images banales, à aller pourchasser les animaux jusqu’au plus profond de leurs remises. Mea culpa, j’en ai fait partie quelque temps...
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Très grand cerf en refait de la forêt de Naliboki, en Biélorussie. Dans ces forêts inondées et quasi-impénétrables, le prédateur n°1 du cerf est le loup. © Djepi |
La grande misère du cerf
Si le cerf était déjà chassé pour sa viande par nos ancêtres du paléolithique, ce n’est que bien plus tard que les choses ont mal tourné pour lui. Le cerf mâle, symbole de noblesse, de puissance et de virilité, est devenu avant tout un trophée que se réservaient les puissants, et sa chasse est devenue un sport plutôt qu’une nécessité alimentaire. Les techniques ont changé, d’abord avec la chasse à courre, puis, suite à l’apparition des armes à feu, avec la battue. Pour survivre, le cerf a été contraint – comme d’ailleurs tant d’autres espèces – de changer complètement son mode de vie.
La plupart des gens qui veulent aller assister au brame croient dur comme fer que le cerf à l’état sauvage est un animal forestier vivant essentiellement de nuit. C’est faux.
En allant l’observer dans des endroits où il peut encore vivre sans persécution, comme le Parc National des Abruzzes en Italie ou, pour la sous-espèce wapiti, dans les grands parcs nationaux nord-américains, on constate que c’est un animal qui apprécie les milieux ouverts (la large ramure des mâles n’est pas adaptée aux milieux fermés) et dont l’activité se déroule par cycles, tout au long des 24h de la journée (comme pour tous les ruminants).
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Dans le PN des Abruzzes, les cerfs s'observent sans difficulté, de jour, aux abords des villages. Mais celui-ci est dans une clairière de montagne. © Djepi |
Mais la chasse élimine chaque année 1/3 du cheptel et, dans nos forêts, la structure des clans et des hardes est sans cesse bouleversée. Les grandes battues d’automne et d’hiver font aussi éclater les groupes, séparant des animaux socialement proches, ce qui accroît énormément leur stress.
Au total, le cerf que l’on peut encore rencontrer dans nos milieux (si peu) naturels n’est plus que l’ombre de celui que connaissaient nos ancêtres de Cro-Magnon. Tout cela fut magnifiquement écrit dans le livre pionnier de Gérard Jadoul en 2005, le Dernier Cerf ou dans Le Clan des Cerfs de Jean Pierre Verhoeven, en 2003.
Retrouver le naturel
Face à la difficulté croissante de pouvoir observer valablement le comportement des animaux en cette période fascinante du brame, agacé de voir sortir du fourré un photographe hilare quand j’espérais y découvrir un cerf, et sans possibilité de faire régulièrement le voyage vers le paradis des Abruzzes, j’en étais venu à l’idée de tourner la page quand une opportunité assez inattendue m’est apparue.
Et si le cerf était, en définitive, plus proche de son état de nature en parc de vision qu’en milieu « sauvage »… ? Question qui serre le cœur d’un vieux naturaliste, mais qui s’impose…
Oublions les parcs exclusivement commerciaux où des dizaines d’animaux se pressent sur quelques hectares, comme des vaches en prairie, et viennent se faire nourrir à la main. En cherchant un peu, j’ai découvert plusieurs bonnes possibilités. Dyrehaven (1100 ha) près de Copenhague et Richmond (1000 ha), près de Londres sont bien connus. Habitués aux nombreux promeneurs fréquentant ces parcs publics et évoluant sur une superficie semblable à celle de leur domaine vital naturel (en milieu favorable, une biche passe sa vie sur quelques centaines d’hectares), les cerfs y sont en réalité au plus proche de leur état sauvage ancestral. Comme les mâles atteignent l’âge de la pleine maturité, on y trouve des animaux de forte stature et, sans perturbation aucune, les photographes peuvent s’en donner à cœur joie.
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A Han-sur-Lesse, la vaste plaine de La Chavée et les coteaux environnants accueillent une population de cerfs circulant librement. © Djepi |
C’est ainsi, pour moi, une magnifique opportunité d’observer et de photographier les animaux dans de très bonnes conditions, sans leur occasionner de dérangement, d’apprendre à les connaître et de pouvoir suivre leur évolution individuelle d’année en année. Évidemment, pour celui qui cherche avant tout à satisfaire son besoin d’émotions et de trophée en approchant en catimini un animal pour lui dérober son portrait (c’est déjà bien mieux que lui voler sa vie !), cette observation « facile » ne sera guère gratifiante… Mais j’ai personnellement fait le choix de ne plus déranger en vain.
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