Echos du brame à Han, épisode 11/14 : les 3 mousquetaires

Les 3 mousquetaires

10 octobre 2020. Quand nous arrivons avec précaution au bord de la prairie enceinte de forêt, un grand cerf au pelage sombre est occupé à se gaver des fruits abandonnés par les chênes de la lisière. Il est impressionnant avec des bois massifs, larges, comptant 14 pointes effilées. Placidement, il mâchonne les glands quand un dos puissant de teinte rousse apparaît derrière lui. Petit à petit, nez au sol, le nouveau venu émerge sur la crête. C’est aussi un gaillard, avec deux râteaux additionnant 14 cors. Je le reconnais rapidement à la forme de son long chandelier en double échelle : c’est Jeanma. Cerfs matures, les amis broutent de concert, épaule contre épaule et leurs deux ramures alignées évoquent les portes de l’enfer.

Chocolat (à gauche) et Jeanma (à droite) pâturent paisiblement côte à côte. © Djepi

Dans la grande pâture, à quelques centaines de mètres en contrebas, le brame allume encore les passions; pourtant, ni Jeanma ni son ami (que je baptise Chocolat) ne s’en préoccupent. Ils sont de même taille, leurs ramures se ressemblent, ils doivent avoir à peu près le même âge, et seule la couleur de leur robe les différencie nettement. Je me dis que ces deux là doivent être de proches cousins.

Un troisème larron apparaît ...© Djepi

Alors que le duo fait quelques pas vers le centre de la prairie, une troisième échine puissante apparaît et se détache progressivement. Le cerf est grand, avec de hauts bois resserrés affichant 12 cors, sa robe est beige. C’est mon vieil ami Papy. Il a tenté sa chance au brame mais il a dû rapidement se replier, et il n’a plus guère insisté. Au côté des deux autres, il se remplit consciencieusement la panse. Les 3 mousquetaires sont complices, c’est évident, mais Papy garde quelque distance alors que Jeanma et Chocolat apprécient le contact mutuel.

Je me souviens alors d’une photo prise non loin de là en 2018, avec deux beaux cerfs ensemble, dont un arborait une robe brun sombre, et d’une autre prise au même moment, au même endroit avec un 3ème larron plus pâle et couronné de hauts bois resserrés. De retour à la maison, je plonge sur mon ordinateur et exhume les images. Aucun doute : ce sont les mêmes cerfs. Quoique ces deux années aient bien alourdi leur attirail, sa forme ne ment pas. En 2018 déjà, Jeanma et Chocolat étaient inséparables, et Papy appréciait leur compagnie.

2018 : Jeanma (devant) et Chocolat sont déjà de grands amis. © Djepi

Cette observation m’éclaire sur la vie sociale des cerfs. Alors que la saison du brame nous les présente comme des ennemis tonitruants, prêts à s’entretuer pour les faveurs de ces dames, ils passent en réalité 11 mois de l’année en étroits groupes sociaux, dans la meilleure entente. Souvent, se forment des duos ou des trios d’animaux très proches, quasi inséparables, du même âge ou presque. Issus de biches parentes et amies, ils passent ensemble les jeunes années de leur vie au sein de la harde des femelles, jouant à se faire la guerre, comme tous les gamins. Ils restent ensuite de proches amis, jusqu’à la mort.

A gauche, Jeanma, à droite, Papy. Ils ont tous deux participé au brame 2020, sans succès. © Djepi

Ces observations ont été réalisées dans un domaine de 250 ha où les cerfs vivent leur vie. Elle est rarissime dans les forêts chassées car un animal sur trois est abattu chaque année. Et si sa tête est bien garnie, sa chance de survie est d'autant plus réduite...

La structure sociale des cerfs (et celle des biches) est constamment bouleversée par la chasse et ce n’est que par une chance fort improbable qu’un cerf peut garder ses amis jusqu’à la maturité. On raconte alors erronément que les vieux cerfs sont asociaux... ils sont simplement les seuls survivants de groupes d’amis !

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