Hold-up dans la plaine
 |
L'objet de tous les désirs...© Djepi |
JL aurait aimé savourer une fin de brame paisible, mais les astres en ont décidé autrement. Fatigué par 3 semaines d’allées et venues incessantes pour regrouper les 25 non-boisés de son harpail, par d’innombrables interventions militaires pour repousser les assauts des concurrents, il ne peut hélas pas encore savourer le repos du guerrier. En ce 10 octobre, quelques biches sont en chaleur et les effluves qu’elles dispersent font aussi tourner les têtes moins couronnées que la sienne.
 |
Joli14 est épuisé, mais il reste attentif à toute opportunité. © Djepi
|
Hier encore, Joli14, le plus dangereux des concurrents, s’est montré entreprenant et JL a dû le repousser manu militari. L’affaire fut rondement menée et l’affrontement ne dura que quelques secondes, mais le maître de place a reçu un coup a l’œil droit, heureusement bénin. Quant à Joli14, épuisé et dégoûté de ses échecs répétés, il est parti récupérer à quelques centaines de mètres de la harde. De temps à autre, il bramote pour rappeler à JL que tout instant de faiblesse se paierait cash…
Mais le clou dans le cercueil du grand 14 cors, c’est ce club d’ados qui est descendu depuis une semaine dans la plaine herbeuse où se déroule le brame. Ils ont 3, 4 ou 5 ans et arborent de fort modestes ramures, mais l’odeur des biches leur donne toutes les audaces. Dès que JL est inattentif ou tente de se reposer, ils s’approchent de la harde. Parfois seul, parfois à deux, parfois à trois, toujours en ordre dispersé. D’abord, le maître les sermonne de sa voix de stentor, mais ils n’en ont cure. Il doit se relever et se porter à leur rencontre, parfois les charger pour les repousser. Bien sûr, un jeunot reflue, puis l’autre… pour revenir immédiatement dès que JL fait volte-face.
 |
JL consomme beaucoup d'énergie à écarter des petits cerfs. © Djepi |
Vers midi, alors que le groupe des femelles tond béatement le gazon, deux silhouettes sont subrepticement sorties du sous-bois et ont rapidement traversé la plaine vers la rivière. Il y avait là Brisefer, qui a continué son chemin vers l’autre rive, et un vieux cerf massif, Le Crabe, qui a vite disparu, avalé par les ombres de la lisère.
 |
JL aspire à un peu de repos. © Djepi |
14 heures, c’est la pause. Couchées, avec la dignité de sphinx égyptiens, les biches ruminent. Parmi elles, le museau dans l’herbe, JL essaie de se reposer, et même les insupportables ados ont un instant interrompu leurs tentatives. Sur la pointe des sabots, Le Crabe est sorti de la pénombre et est venu discrètement s’installer à 200 m du groupe.
Le calme ne pouvait pas durer. Vers 15h30, une biche se lève, puis l’autre, et elles se dispersent avec leur douce grâce, lassées peut-être par la tyrannie du seigneur qui les enchaîne depuis des semaines. Leur parfum se répand aux alentours et arrive vite aux naseaux des ados.
 |
Le Crabe se rapproche de harde en catimini. © Djepi |
Sans plus attendre, ils s’approchent pour humer les couches des femelles, se pourléchant les babines et les retroussant pour mieux faire circuler les odeurs vers leur organes olfactifs. Encore dans les nimbes, JL tarde à réagir et un des séducteurs imberbes s’introduit dans la harde. Il se met illico à harceler les femelles, sans vergogne.
Outré, le boss est debout en un coup de reins et se jette violemment sur l’indélicat. Un époustouflant chassé croisé laboure le sol et fait voler les mottes de terre parmi les biches effarées, permettant au jeunot plus agile d’esquiver de justesse la charge du panzer. Pantelant, harassé, excédé, le gros cerf revient vers son harpail.
 |
Quand le boss se réveille, la seule option pour cet ado de 4 ans est une fuite précipitée ! © Djepi |
Entretemps, le Crabe s’est un peu rapproché. JL le voit mais ne semble pas inquiété par la présence ensommeillée de l’aïeul.
Le Crabe est un vieux cerf. Son corps de taureau est enveloppé d’une toison brune virant au gris sombre sur le col et la face. Sa ramure est épaisse mais guère impressionnante : 5 cors à droite et 4 seulement à gauche où le surandouiller s’est refusé à pousser. Vus de face, ses bois sont arqués en forme de pince et lui ont valu son nom. En 2018 encore, il n’hésitait pas à provoquer JL en utilisant la manière forte, mais il a appris à ses dépens qui était le plus fort. Le Crabe a donc revu ses méthodes. Mais pas ses ambitions.
 |
Le Crabe n'a pas dit son dernier mot... © Djepi |
L’air se rafraîchit déjà alors que le maître de place est engagé dans une nouvelle expédition tonitruante contre un jeune 12 cors impertinent. Le Crabe a laissé la troupe des biches dériver vers lui. Puis, calmement, sans faire de bruit, comme s’il n’était même pas là, il s’est avancé pour se placer parmi elles. Caressés par tous ces capiteux parfums de femme, les naseaux du vieux cerf ont frémi et il a perdu son sang froid.
 |
Le Crabe abat ses cartes. © Djepi |
Tirant la langue, il se met à courser les belles et à les presser de ses assiduités. JL, qui revenait péniblement de sa vaine guerre contre la jeunesse, sursaute en constatant l’état des lieux et hâte le pas en déclenchant une salve de raires. Le Crabe n’insiste pas.
 |
Le Crabe ne joue pas au fanfaron. En cas d'embrouille, il se replie prudemment. © Djepi |
Tout aussi doucement qu’il était arrivé, il se retire discrètement dans un bouquet d’arbres. Pas question pour lui de risquer un duel avec l’artillerie du grand 14.
JL en est à reprocher vertement aux biches leur frivolité quand un nouvel obus atterri parmi elles : un freluquet à la ramure pathétique qui se prend pour Dom Juan. Et le grand cerf doit à nouveau dégainer l’épée et partir pour une longue croisade vers le haut de la pâture. De sa retraite, Le Crabe n’en a pas perdu une miette. En quelques pas, il se replace parmi les femelles, les poussant en douceur et en silence vers la rivière.
 |
JL tance énergiquement les fugueuses. © Djepi |
Quand JL réapparaît, le trio de boutonneux toujours sur les talons, la situation est compliquée. Huit biches sont sous le contrôle du Crabe qui, maintenant, se pavane ostensiblement. Du fond de sa poitrine, émerge un brame caverneux. Les autres femelles sont éparpillées. JL hésite. D’une part, les ados infernaux sont encore et toujours là, ensuite, le vieux 10 cors est un client à ne pas sous-estimer qu’il ne connaît que trop bien. Et enfin, il se sent fatigué, si fatigué…
 |
Le Crabe hume l'odeur des femelles. © Djepi |
Le Crabe tergiverse aussi quand il voit quelques biches faire marche arrière et se diriger vers JL. Le moindre faux pas lui vaudrait de déclencher l’ire du maître et de perdre toute sa mise. Écartelées entre la crainte que leur inspirent les grands mâles et l’attachement qu’elles ont pour d’autres membres de la harde, les fugueuses vont et viennent à diverses reprises, incapables de se décider. JL brame et menace. Le Crabe laisse faire, sans un cri, sans un geste.
Après quelques minutes, un duo biche - bichette a fait son choix et Le Crabe les presse à l’écart pendant que JL épuise ses dernières cartouches à regrouper les autres, tout en écartant les sous-fifres.
Sans effort inutile, sans courir le moindre risque, là où de bien mieux couronnés que lui ont échoué, l’ancien a réussi le hold-up parfait.
Et cette nuit ? Et demain ? S’arrêtera-t-il en si bon chemin ? Les voiles du soir descendent sur la plaine et nous prenons le chemin du retour.
 |
Hold-up parfait pour le Crabe qui s'isole avec deux biches. © Djepi |
Commentaires
Enregistrer un commentaire