Des cerfs au menu, épisode 4/4

 Voyez les 3 premiers épisodes de la saga !

Achille contre Hector

Je vois Petrus pivoter sur lui même pour se précipiter droit sur l'indésirable et je comprends qu'il n'y aura pas de pourparlers : l'affaire va immédiatement se régler par les armes. Encombré de matériel, je me hâte afin de contourner le bosquet vers le bord de la prairie et j'entends déjà le claquement sec et répété des ramures, bizarrement assorti d'un chahut métallique. Dès que j'arrive, je comprends. Petrus et Jeanma s'affrontent de part et d'autre de la clôture. Le grillage de fer n'en sortira pas intact, mais il résiste tant bien que mal en gémissant de douleur. Quant au fil électrique, bagatelle.

Mauvaise nouvelle pour les romantiques : les animaux ont choisi de se battre juste devant le fourbi d'un cabanon forestier... Achille et Hector s'affrontèrent devant les murailles de Troie, c'était quand même plus pittoresque !

Jeanma et Petrus s'affrontent de part et d'autre de la clôture, bien faible écran face à leur artillerie. C'est un comportement étrange qui est assez fréquent chez les cerfs. © Djepi

Le volume est au maximum. Les deux cerfs sont d'ampleur comparable, aucun ne fait un pas en arrière. A chaque instant, sans avertissement, les têtes se baissent et les andouillers s'entrechoquent avec fracas, martyrisant davantage le maillage métallique. La clôture leur impose le match nul, et les cerfs furieux se rapprochent de plus en plus de moi, cherchant une brèche où ils pourront se mesurer à la loyale. 

Jeanma s'aperçoit soudain de ma présence et se redresse. Vu les trente mètres qui nous séparent à peine et le traitement que ses rateaux infligent aux fils de clôture, ne ferais-je pas mieux de penser à autre chose qu'à presser le déclencheur ? Sans prévenir, le cerf se ravise et, autant écœuré par la veulerie du photographe voyeur que par la couardise d’un ennemi qui se bat derrière un rempart, il s’écarte en clamant son indignation à toute la forêt. Comme s'il ne s'était rien passé, Petrus retourne, lui, marmonner à l'ombre de ses arbres.

Une bagarre pour rien, comme il y en a tant. Jeanma est frustré et le fait entendre. © Djepi


Sous-marin coulé

Chez JL, la meneuse a enfin donné le signal du départ, et la harde se dirige vers la lisière ombragée pour brouter le regain automnal. Excellente idée : c'est justement là que je suis planqué (et ce n’est pas un hasard...) !

D'un air détaché, en mode sous-marin, Erik quitte le club des boutonneux alanguis et emboîte le pas aux biches de queue. JL est tout empressé derrière une demoiselle qui entre en œstrus, et le classieux jeunot en profite pour faire admirer son plus beau profil à la gent féminine.

Le bel Erik n'est pas peu fier de son irréprochable plastique ! © Djepi


Tournant la tête, le patron le remarque enfin. Et j'ai l'impression que la planète explose. Un rot gigantesque envoie mes tympans au fond de mon crâne. Tétanisé, l'œil encore collé au viseur, je distingue l'agitation frénétique d'animaux qui s'éparpillent comme si une grenade venait d'exploser parmi eux. Je redresse la tête et me dévisse le cou : plus la moindre trace d'Erik nulle part. Le sous-marin a-t-il sombré ? Il vient d'apprendre que, quand on a 5 ou 6 ans, on ne badine pas avec les nerfs d'un 18 cors qui en a le double... Dix minutes plus tard, sur la pointe des sabots, il réapparaîtra incognito, en ayant soin de s'entourer d'une poignée d'ados... dont l’ami Brisefer !

 

A l'ombre des grands arbres, la harde s'adonne tranquillement aux mille petites choses qui font la vie quotidienne des biches. JL déploie devant mes yeux ravis la panoplie des comportements discrets du cerf en rut, que l'on n'a pas toujours la chance de bien observer : il muse, fraie, casse du bois, marque les arbres de son larmier...


JL et la harde, en mode vie privée. © Djepi

Plus loin sur la pâture, le réveil de Joli Quatorze se met aussi à sonner. Au flanc du coteau, Jeanma ne décolère pas et riposte du tac au tac. Un peu contrarié de ne pouvoir se consacrer pleinement à sa biche en chaleur, JL rétorque brièvement. Business du brame as usual, le soleil étouffe un bâillement et s'avance à petits pas vers l'horizon.

 

Papy et consorts

Le Crabe, Fleuret, que sont ils devenus ? Papy se fait-il toujours dorloter sans sa discrète retraite ? Voici les nouvelles fraîches...

Le Crabe fréquente la petite prairie clôturée où Jeanma s'agite tant. Il s'est fraîchement laqué et est caparaçonné de boue jusqu’aux andouillers d’attaque. Tel un Priape version cervine, il affiche une semi-érection permanente. Mais il ne brame plus et ne manifeste aucune agressivité envers son remuant voisin. Ses exploits de la semaine passée, quand il a tenu tête à JL sur les grandes prairies, ont dû vider ses accus.

Toujours un peu satyre, Le Crabe a pris ses distances avec les biches, tout en soignant son make-up. © Djepi

Au fond du pré, Fleuret, endeuillé par son bois atrophié, la joue discrète. A côté de lui, Martial, un très puissant 12 cors avec des merrains comme des manches de pioche semble avoir clôturé sa saison de brame, lui aussi. Avec quel succès ?

Martial n'affiche que 12 cors, mais il ne boxe pas pour autant dans la catégorie des légers. © Djepi

Ces cerfs satellites ont-ils eu accès aux biches ? Les apparences diurnes sont trompeuses et, sous les voiles de la nuit, beaucoup de mâles parviennent à leurs fins. En forêt d'Ardenne, les études ADN ont montré que 80% des faons étaient engendrés par des pères différents. On lit la question dans le regard de Martial : vaut-il vraiment la peine de s’épuiser à être maître de place...?

Alors que je les observe songeur, un raire gigantesque, une véritable déflagration vocale suivie du bruit sec des andouillers qui se heurtent, fait vibrer l'éther du bout de la vallée. Quelque chose se passe du côté de chez Papy, mais impossible de voir l'endroit ni de m'y rendre assez rapidement. Une heure plus tard, à bord de la navette qui me reconduit aux portes du parc, je scrute anxieusement la berge du ruisseau que Papy fréquente durant le brame. Et en effet, il y a du nouveau...

Le vieux cerf est toujours là, il reprend calmement des forces en broutant un peu, levant à peine la tête à notre passage. Mais aux six charmantes infirmières qui soignent dévotement son arthrose, il a désormais adjoint deux jeunes stagiaires absolument ravissantes... Sacré Papy !

Ne vous inquiétez pas pour Papy : il va très bien ! © Djepi



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