Corsaires du grand large

Un adulte reste toujours de garde au nid   © Djépi

Images et texte : Djépi

K’tii – weeehh

© Djépi

Tournant au-dessus de moi, arrivant à la falaise ou la quittant, des dizaines d’oiseaux blanc et argenté me rappellent haut et fort leur nom anglais : respectant leur habituel pragmatisme, nos voisins anglosaxons ont décidé qu’un oiseau qui crie à tue-tête k’tii – weeehh ne peut s’appeler que kittywake.


Mais, pour une fois, les Français n’ont pas non plus trop  cherché midi à quatorze heures. Cette mouette n’ayant que 3 doigts aux pattes - au lieu des 4 habituels aux volatiles- elle est devenue la mouette tridactyle. C’est cette étrangeté anatomique qui avait d’ailleurs inspiré Carl von Linné (1707-1778), qui l’avait rangée dans sa classification des espèces en tant que Rissa tridactyla.

 

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La périlleuse sécurité des falaises

Des choucas ont emménagé parmi les mouettes tridactyles © Djépi

Être entouré d’un maelstrom de mouettes tridactyles est un moment privilégié pour un ornitho. L’espèce est en effet « pélagique », selon le vocabulaire des biologistes, ce qui signifie qu’elle passe sa vie en pleine mer, loin des côtes, et donc loin des jumelles et téléobjectifs.  Mais elle installe son nid dans la périlleuse sécurité des falaises et, durant quelques semaines chaque année, elle visite notre monde. Hélas, la plupart des sites qu’elle affectionne sont difficilement accessibles.


Au Cap Blanc-Nez, cependant, les oiseaux venus du large ont décidé de se laisser admirer à loisir par les milliers de touristes qui défilent sans même les remarquer, et par quelques ornithos curieux. Il suffit que la marée soit assez basse pour que l’on puisse longer le pied de la muraille de craie et rencontrer la vie quotidienne des mouettes tridactyles en nidification. Il n’est pas même besoin de se dévisser le cou : certains couples ont installé leur nid très bas, à quelques mètres seulement de la plage de galets.

La construction assez volumineuse est faite de débris végétaux agglomérés par de la boue et de la fiente. Elle est arrimée sur un rebord minuscule, ce qui permet à la mouette tridactyle de se loger sans réelle concurrence. Son collègue le fulmar boréal, par exemple, recherche des emplacements plus vastes, souvent sur des zones terreuses dans la partie haute de la falaise. 

Quelques choucas des tours ont emménagé dans des cavités, parmi les mouettes, et la cohabitation semble paisible.


Le fulmar boréal recherche des emplacements plus vastes, souvent sur des zones terreuses  © Djépi

La littérature m’apprend que la mouette tridactyle pond généralement deux, et jusqu’à trois œufs, mais, à une exception près, je ne distingue dans les nids qu’un seul poussin, déjà de belle taille. Vu l’espace ultra-réduit dont disposent certains couples, mieux vaut d’ailleurs ne pas essayer d’élever une famille nombreuse !

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Conversations entre époux

Un adulte reste toujours de garde au nid, pour éviter la visite d’un goéland argenté qui niche à proximité et qui ferait sans scrupule son dîner d’un poussin ou d’un œuf laissé sans surveillance. Il est calme, se contentant de sommeiller ou de se toiletter, jusqu’à ce que son partenaire revienne de sa tournée de pêche. Cela s’anime alors, à grand renfort de « k’tii – weeehh ». 

Le revenant s’empresse de régurgiter une ration de menu fretin pour le poussin   © Djépi

Après quelques salutations et éventuellement une altercation de principe avec des voisins dérangés dans leur sieste, il s’empresse de régurgiter une ration de menu fretin pour le poussin. Ensuite, les oiseaux s’adonnent à une sorte de conversation, un cérémonial qui, j’imagine, sert à renforcer les liens et la bonne collaboration au sein du couple. Les partenaires, souvent unis pour la vie, se consacrent entièrement, durant près de deux mois-et-demi, à la couvaison, puis à l’élevage de leur progéniture. Cela demande une parfaite coordination.

La conversation s'anime, à grand renfort de « k’tii – weeehh »  © Djépi

Durant leur conversation, les oiseaux exhibent la couleur rouge intense de leurs commissures et de l’intérieur du bec, qui tranche avec la teinte jaune vif de celui-ci et le blanc pur du plumage. Moins visible, le tour de l’œil est également rouge vif. Cette couleur doit être un signal pour les interactions entre les individus, et en particulier entre les partenaires. Elle sert probablement aussi à guider visuellement le poussin vers la gorge de l’adulte, où il puise sa nourriture.

La vive coloration du bec est un signal pour les interactions entre les individus © Djépi 

Une fois le nourrissage du jeune terminé et les petites affaires du couple réglées, un des oiseaux repart pêcher en mer. C’est parfois celui qui était revenu un instant auparavant, d’autres fois, celui qui était de faction au nid.

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Corsaires du grand large

En la regardant voler, on comprend ce qu’est la vraie nature de la mouette tridactyle.

La mouette tridactyle est un planeur efficace, endurant, rapide, pas un acrobate   © Djépi

Son envergure est semblable à celle de l’ubiquiste mouette rieuse : 1 mètre environ, mais avec 400 gr, elle est 30% plus lourde que sa cousine. Les ailes sont longues, étroites et pointues, la queue réduite. Alliées à un poids relativement élevé, ces caractéristiques sont celles d’un planeur efficace, endurant, rapide. La mouette tridactyle n’est pas taillée pour voler lentement, ce qui requiert des ailes larges, comme chez le busard par exemple, ni pour changer rapidement de direction, ce qui demande une queue bien développée, comme chez les hirondelles ou l'épervier. 

Son mode de vie est de sillonner inlassablement l’océan et de glaner de petites proies en surface ; il exige beaucoup d’endurance, la capacité de couvrir rapidement d’immenses distances, mais pas une agilité particulière.

Comme la mouette tridactyle, le fulmar boréal est un corsaire du grand large © Djépi 

Le fulmar boréal, à peine plus grand qu’elle, affiche 800 gr sur la balance. Il pousse encore plus loin ce profil du planeur rapide qui est celui des oiseaux typiquement marins : fous, puffins, albatros… Et c’est bien à cette famille de corsaires du grand large qu’appartient la mouette tridactyle.

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