La Porte des Enfers

 

©Djépi

Photos et texte : Djépi

A quelques encablures de Charleroi, la centrale électrique abandonnée de Monceau-sur-Sambre est un site urbex archi-connu qui attire curieux, motards, photographes, cinéastes, amateurs de lieux étranges, grimpeurs… et même des militaires en exercice.

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Le graal des urbexeurs

Bâtie en 1921 et ayant connu ensuite divers agrandissements, la centrale fut arrêtée en 2007 puis abandonnée en 2010, en raison de l’énorme pollution atmosphérique qu’elle engendrait (à l’époque, 10% des émissions de CO2 du pays à elle seule). Depuis les années ’70, elle brûlait les gaz émanant du proche Haut-Fourneau n°4 de Carsid qui, avant son arrêt en 2008, était le plus gros d’Europe.

De grosses canalisations aériennes partent enjamber la Sambre   ©Djépi

Très rapidement, elle fut la proie des pillards qui arrachèrent et emmenèrent par camions entiers tout ce qui pouvait se monnayer. Les vandales détruisirent le reste. Devenu dangereux, le site de la centrale est aujourd’hui d’accès difficile, et attend son démantèlement.

De l’autre côté de la Sambre, trône l’imposante tour de refroidissement de 57 mètres de haut. C’était un graal pour les urbexeurs de toute l’Europe et le net est inondé de photos vertigineuses. 

L’imposante tour de refroidissement de 57 mètres de haut   ©Djépi

Mais la passerelle qui mène en son cœur a été démontée et il faut maintenant des talents d’acrobate pour y accéder. 
Moins glamour, les bassins inférieurs, où l’eau refroidie était collectée pour être renvoyée à la Sambre, restent, eux, bien accessibles. Morne architecture de poutres en béton armé qui évoque un sombre parking souterrain.

Morne architecture qui évoque un parking souterrain   ©Djépi

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Le royaume d'Hadès

Sur le trajet des grosses canalisations aériennes qui partent enjamber la Sambre, une tour métallique plus discrète essaie de se dissimuler à l’ombre de sa grande sœur de béton.  C’est le gazomètre qui permettait de réguler la pression des gaz de haut-fourneau alimentant la centrale. Moins fréquenté, c’est l’objet de notre visite du jour.

L'échelle de volume du gazomètre   ©Djépi

Nous faisant bien comprendre qu’il ne fallait pas compter sur elle pour entrer dans le ventre du monstre, une étroite passerelle balance son moignon dans les airs. Nous entreprenons donc de faire méthodiquement le tour du large cylindre de tôles, espérant une brèche. 

Dissimulée par un fourré de jeunes bouleaux, l’opportunité se présente. Comme le clin d’œil d’un cyclope, un étroit trou obscur nous invite à entrer. Avec quelques appréhensions, nous laissons derrière nous la lumière du jour pour franchir la Porte des Enfers et pénétrer dans le royaume d’Hadès (1)…

Le royaume d'Hadès, barré par de perfides cerbères métalliques  ©Djépi

(1) Equivalent grec du dieu latin Pluton, Hadès règne sur les Enfers avec son épouse Perséphone.

La nuit est collante, aussi épaisse que le silence. On a envie de la dissiper avec les mains. Impossible de s’orienter, mais quelques ouvertures élevées distillent une maigre poignée de photons et peu à peu, nos pupilles s’habituent à la disette.

Heureusement : la progression est difficile car le sol est encombré d’innombrables plots en béton. Obstacles au cheminement des âmes défuntes ou lest du piston disparu qui assurait la pression du gaz ? 

Obstacles au cheminement des âmes défuntes ?   ©Djépi

Pour compliquer l’accès aux Orphées (2) amateurs que nous sommes, l’espace infernal est barré en tous sens par de perfides cerbères métalliques.

(2) Héros mythologique grec, Orphée parvint à entrer vivant aux Enfers pour y rechercher sa jeune épouse Eurydice. Il séduisit Cerbère, le terrible chien de garde à trois têtes, avec la musique de sa harpe. Il échoua cependant à faire sortir sa belle…

Des portes et trappes entrouvertes laissent s’infiltrer des gouttes de soleil   ©Djépi

Nous faufilant à tâtons plus en profondeur, nous nous asseyons pour contempler le spectacle. En hauteur, des portes et trappes entrouvertes laissent s’infiltrer des gouttes de soleil. 

Collée à la paroi, une périlleuse échelle grimpe follement vers la liberté. La mélodie du Stairway to Heaven de Led Zeppelin me vient en tête…

« There's a lady who's sure all that glitters is gold
And she's buying a stairway to Heaven »

She's buying a stairway to Heaven...   ©Djépi

Apollon, dieu de la lumière et des arts – et donc de la photographie – préfère l’Olympe et ne se risque pas dans l’antre d’Hadès. Inutile de l’invoquer, il faut se débrouiller seul pour les questions techniques.

Les essais succèdent aux essais avant de trouver la meilleure combinaison, et les longues poses laissent apparaître sur l’écran un paysage irréel que les yeux ne pouvaient percevoir. Magie digitale ou tromperie infernale ?

Un paysage irréel que les yeux ne pouvaient percevoir   ©Djépi

Juste au-dessus de nos têtes, une soucoupe volante saupoudrée de couleurs coiffe l’édifice. C’est elle qui doit emporter les âmes réincarnées pour un retour au monde des vivants (3).

La soucoupe volante qui emporte les âmes réincarnées   ©Djépi

(3) Les Grecs croyaient en la réincarnation : l’âme des morts qui n’avaient pas commis de crimes ou qui s’étaient purifiés par mille ans d’attente renaissait dans un nouveau corps.

Mais nous ne tenterons ni Hadès ni le diable et, tant que nous sommes encore en vie, nous nous échappons vers la sortie et son soleil, abandonnant la Porte des Enfers à son écran de bouleaux.

©Djépi


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