L’ULTIME HOMMAGE
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© Djépi |
Il naquit en 1860, sous des cieux apparemment radieux.
Edifié pour le baron Louis Siraut (1821-1893, anobli
héréditairement en 1847), membre d’une influente famille montoise de
responsables politiques et d’hommes d’affaires, le château de la Bruyère, aussi
appelé château de la Cense au Bois, semblait promis à un prestigieux avenir. La
Belgique d’alors, et la Wallonie en particulier, connaissait un exceptionnel
essor industriel et, parmi la caste supérieure, l’argent coulait à flots.
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Le château de la Bruyère du temps de sa gloire (1904). Source : internet |
Bâti en style néo-classique sous une toiture à la Mansard, avec de belles ferronneries aux fenêtres, le manoir trônait au cœur d’un parc arboré de 8 ha environné de campagnes et de bois, aux portes de la ville de Mons.
En 1984, hélas, le ciel s’assombrit : des aléas
familiaux provoquent son abandon. Rapidement, il est squatté et dégradé. Son
environnement s’est aussi singulièrement altéré : voies rapides, bretelle
d’autoroute, canal, urbanisation…
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Le château de la Bruyère lors de notre visite © Djépi |
En 1999, apparaît enfin une éclaircie : l’entrepreneur local Raymond Beck (boulangerie pâtisserie) s’associe au chef renommé Pierre-Yves Gosse pour en faire une hostellerie de prestige. Le château est rénové pour accueillir 11 chambres de haut standing avec salle de bains adjacente, cheminée individuelle et fenêtres sur le domaine, ainsi qu’un restaurant gastronomique. Une volée de marches du perron arrière reçoit même un vaste auvent pour que la gentry puisse quitter sa limousine et accéder aux salons sans risquer que la pluie altère robes et smokings…
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Miraculeusement intacte, une fresque murale accueille le visiteur © Djépi |
Mais la sauce ne prend pas. Après s’être orientée quelque temps vers les soirées libertines, l’hôtellerie est déclarée en faillite dès 2005 et le bâtiment à nouveau laissé à l’abandon.
Rapidement, il intéresse des investisseurs flamands qui souhaitent y créer un luxueux centre de bien-être, en créant 150 emplois dans cette région où le taux de chômage atteint des records. Mais c’est sans compter sur le plan d’urbanisme qui met des bâtons dans les roues du projet.
Un rapport officiel de 2011 enregistre le château des Bruyères au patrimoine immobilier culturel wallon, sans toutefois le classer. Les autorités sont favorables au nouveau projet mais en 2016, face aux interminables obstacles de papier, les investisseurs perdent patience et jettent le gant.
Le navire, sans amarres, est
abandonné aux tempêtes…
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Le passage des iconoclastes a désormais tout recouvert de décombres © Djépi |
Jusqu’en 2017-2018, les visiteurs ont trouvé un bâtiment certes presque vide, dont l’intérieur était toujours en bon état. Mais au fil des années, les photos des urbexeurs laissent clairement voir la progression des dégâts.
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Nous visitons le château par la belle après-midi du 3 septembre
2023. Il a toujours fière allure de l’extérieur, même si des arbustes ont
envahi le pied des murs et si toutes les fenêtres sont béantes.
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Les vandales s’en sont donné à cœur joie © Djépi |
Miraculeusement intacte, une fresque murale récente accueille le visiteur. Elle représente une femme assise aux longs cheveux bruns et aux traits tirés. Son regard inquiet porte vers ce qui fut la porte du salon. Des matelas au sol attestent que des squatters s’y sont un temps abrités, mais le passage des iconoclastes a désormais tout recouvert de décombres. Dommage pour sœur Anne : il n’y a plus rien ni personne à attendre ici.
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Par les fenêtres brisées, une folle glycine s’immisce dans les salles © Djépi |
Les meutes successives de vandales s’en sont donné à cœur joie en arrachant les portes, fracassant fenêtres et miroirs, perçant les cloisons et brisant tout le reste. Là où quelques matériaux combustibles ont pu être rassemblés, des foyers d’incendie volontaire laissent leurs traînées de suie. Le revêtement de cuir de l’ancien bar a été rongé par les flammes, mais heureusement, elles ne se sont pas propagées à tout l’édifice.
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Il y a tant de débris au sol que la progression est malaisée © Djépi |
Les documents administratifs oubliés sur place après la faillite jonchent le sol. Classeurs, factures, bilans, extraits bancaires et courriers divers sont éparpillés parmi les débris de ciment et de plâtre. Peu importe, la messe est dite : aucun comptable ne viendra plus les consulter.
Par les fenêtres brisées, une folle glycine s’immisce dans
les salles du rez-de-chaussée, alors que les mousses dessinent un art étrange
sur les murs humides.
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Un fumeur barbu en djellaba contemple le vaste parc © Djépi |
La gorge un peu serrée par l’étendue des dégâts, nous nous dirigeons vers les étages. Les garde-corps en bois des escaliers et des paliers ont été arrachés et volés. Il y a par endroits tant de débris au sol que la progression dans les couloirs est malaisée.
Surprise dans une chambre : un fumeur barbu en djellaba
nous attend. Détendu, il contemple le vaste parc par une fenêtre crevée. C’est
une belle fresque de même facture que la spectatrice de l’entrée, mais des
marteaux impies ne l’ont pas épargnée.
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La salle de bains luxueuse n’est plus qu’un cloaque grossièrement peinturluré © Djépi |
La salle de bains la plus luxueuse de l’ex-hôtel, largement illustrée dans les albums des urbexeurs, n’est plus qu’un cloaque grossièrement peinturluré. Les chambres de standing se sont transformées en masures glauques dont les moignons de rideaux flottent au vent.
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Des masures glauques dont les moignons de rideaux flottent au vent © Djépi |
Enjambant les décombres, nous nous glissons vers les sous-sols par une cage d’escalier secondaire. C’était le domaine carrelé des cuisines, des buanderies, du cellier. Le personnel y accédait de l’extérieur par une jolie marquise qui, elle aussi, a souffert. Trop lourd pour être emporté, trop robuste pour être brisé, une partie de l’équipement est encore en place.
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Nous nous glissons vers les sous-sols par une cage d’escalier secondaire © Djépi |
Nous quittons le parc et regardons tristement le panneau de mise en vente qui, depuis de nombreuses années, attend le client.
Nous ignorions alors que nous venions de rendre un ultime hommage au château de la Bruyère.
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Une jolie marquise qui, elle aussi, a souffert © Djépi |
Dans la nuit du 09 au 10 septembre 2023, les pyromanes ont enfin atteint leur sinistre objectif : l’orgueilleux manoir du baron Siraut est parti en fumée, malgré l’intervention des pompiers.
© Zone de secours Hainaut-Centre |
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Ultime hommage © Djépi |
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