Le FACE à FACE

 

La lionne hisse la tête au-dessus des herbes jaunes   © Djépi

Photos et texte : Djépi

Nous logeons quelques jours au camp de Satara, en plein cœur du parc national Kruger. La zone est particulièrement réputée pour l’observations des « big cats ». Comme d’habitude, nous franchissons la barrière peu après 6h pour profiter des heures fraîches, les meilleures pour observer la faune.

Nous partons pour la zone de Timbavati, proche de la frontière ouest du parc. Au-delà, s’étendent plusieurs réserves privées dont le fonds de commerce est la rencontre des lions. YouTube regorge de vidéos impressionnantes publiées par ces opérateurs touristiques et, bien entendu, j’en ai visionné des dizaines avant le départ. Les attentes sont élevées...

👀

Nous sommes un peu maussades alors que nous progressons sur la piste à une rythme de tortue : à part quelques Impalas, rien à se mettre dans les yeux. Et, sans le café du matin, le sommeil a tendance à revenir à l’assaut… 

A part quelques Impalas, rien à se mettre dans les yeux   © Djépi

Mais à 8h04, Nad qui surveille le côté droit depuis la banquette arrière, nous fait sursauter : « lionnes devant, au croisement ». Un groupe de 6 animaux est en mouvement et il n’a aucune complaisance pour notre avidité d’observations. D’une allure détendue, en file indienne, les lions s’enfoncent dans les broussailles.

En file indienne, les lions s’enfoncent dans les broussailles © Djépi 

Nous prenons la piste de droite en espérant les revoir plus loin ; peine perdue… La rencontre n’aura pas duré 2 minutes, mais au moins avons-nous fait connaissance avec des membres du clan de Timbavati.

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Nous repartons vers le nord pour visiter l’observatoire de Ratel Pan. Deux étranges Becs ouverts arpentent les berges humides de la rivière qui a donné son nom à la zone. C'est un mangeur de moules et autres coquillages, son bec en pince l'aide dans son travail.

Le Bec ouvert est un mangeur de coquillages   © Isa

Dans un creux où la végétation arbustive est dense, je repère une harde de Grands Koudous. Femelles et jeunes se laissent tirer le portrait de bonne grâce, mais le grand mâle aux cornes torsadées qui les accompagne reste désespérément invisible. Après une demi-heure de vain cache-cache, nous redémarrons.

Dans la végétation dense, une harde de Grands Koudous © Djépi  

Nous croisons un couple en 4x4. Enthousiaste, le chauffeur nous explique qu’un peu plus loin, sur notre droite, il a vu deux lions et une lionne. L'évènement attendu ! Aucune difficulté pour trouver l’endroit : une voiture est déjà sur place. 

Mais le spectacle semble hélas terminé : un mâle et la lionne dorment, masqués par les hautes herbes. Le troisième larron, un lion à la crinière modeste, fait un brin de toilette avant de s’affaler, lui aussi.

Le troisème larron fait un brin de toilette   © Djépi

L’entracte se prolonge, et sachant qu’un lion n’est actif que 4h sur 24, elle peut durer longtemps… Mes deux complices sont partisanes de la patience, et nous patientons donc. Pari gagnant : 40 minutes plus tard, la lionne hisse la tête au-dessus des herbes jaunes et parcourt les alentours d’un regard vague. Elle décoche un bâillement barbelé puis se lève et s’étire. 

Elle décoche un bâillement barbelé   © Djépi

Du côté des mâles, calme plat. La lionne se dirige vers le sommet du monticule où est installé le trio en adoptant l’allure du félin en chasse, tête basse, corps ondoyant pour épouser le profil de la végétation. Elle s’arrête en position du Sphynx. Dans la plaine au-delà, à quelques centaines de mètres, nous apercevons des gnous qui paissent tranquillement. 

La lionne progresse prudemment de quelques mètres. Et encore. Elle finit par disparaître derrière la crête.

L’allure du félin en chasse, tête basse, corps ondoyant   © Djépi

Plus rien ne bouge, les minutes se suivent et se ressemblent, mais nous sommes maintenant condamnés à rester pour connaître l'épisode suivant de la série. Va-t-elle s’approcher assez des gnous et lancer une attaque ? Les mâles vont-ils se réveiller pour y participer ?

Il y a près d’une heure et demie que nous sommes à l’affût quand un petit steenbok sort de nulle part.  Insouciant, sautillant, il passe à 20 mètres des deux lions endormis. Ses grands yeux noirs n’ont rien remarqué. 

Un petit steenbok sort de nulle part   © Djépi

Mais soudain, il se cabre : l’odeur des ennemis mortels a dû atteindre ses naseaux. Epouvanté, il s’enfuit en silence, comme une flèche. Et le calme revient. Un aigle martial passe, haut dans le ciel laiteux.

La lionne réapparaît nonchalamment et défile à côté de ses compagnons qui relèvent enfin la tête. Elle poursuit son chemin sans leur accorder plus d’attention. Un peu contrariés et décoiffés par l'oreiller, les compères se redressent et s'étirent.

Décoiffés par l'oreiller, les compères se redressent et s'étirent   © Djépi

Celui dont je n’avais entrevu que quelques poils est un très beau lion à la crinière flamboyante. Il a 5 ans peut-être et n'a pas atteint son apogée (1), mais il est en pleine forme et il ferait assurément un bon mannequin pour du prêt-à-porter léonin. 

Un très beau lion à la crinière flamboyante   © Djépi

Celui que j’avais aperçu en premier est plus petit, avec une crinière plus sombre et moins développée. Probablement est-il plus jeune, mais il est déjà fort couturé, signe d'un tempérament bagarreur, et il porte à l’aisselle droite ce qui doit être l'héritage d’une entrevue avec un buffle qui n'était pas prêt à mourir. Ou peut-être boxe-t-il simplement dans la catégorie des légers (2).

Il est déjà fort couturé, signe d'un tempérament bagarreur   © Djépi

Comme tous les lions coalisés (3), ces deux-là sont très proches. D’un air complice, ils partent, épaule contre épaule, sur les traces de la femelle. En douceur, Isa, notre chauffeur, opère un demi-tour pour suivre le duo qui fait d’abord mine de s’éloigner, puis se contente de longer la piste. 

Ils partent, épaule contre épaule, sur les traces de la femelle   © Djépi

Le beau rouquin mène le train, on comprend vite que c’est lui qui prend les décisions. Ugly Boy vient derrière. Dans l'étiquette léonine, le chef passe devant.

Le beau rouquin prend les décisions, Ugly Boy vient derrière   © Djépi

Tout à loisir, nous admirons la démarche assurée et souple, les épaules puissantes des grands félins. Les muscles roulent sous la fourrure fauve, les têtes dodelinent, les gueules s’entrouvrent un instant sur des crocs imposants. 

Nous espérons toujours qu’ils s’arrêtent quelques secondes et « nous fassent un sourire » pour la photo, mais ils ont autre chose en tête. La lionne qu’ils accompagnent doit donner des signes d’œstrus, pas question de la laisser filer en douce. 

Nous admirons la démarche assurée et souple, les épaules puissantes   © Djépi

Les minutes passent, les photos s’empilent, les lions fraient leur chemin parmi les bouquets d’arbustes. Une cinquantaine de mètres les sépare maintenant et nous devons choisir lequel suivre. Le rouquin décide pour nous. Il traverse la piste sans prévenir pour s’enfoncer vers les berges de la rivière Timbavati, où je suppose que la lionne est partie s’abreuver.

C’est donc Ugly Boy que je cadre. Je l’ai enfin de face et il grossit dans le viseur… Progressivement, je réduis le zoom. Quand je lève les yeux, je constate qu’il n’est même plus à 10m de la voiture. 

Je l’ai enfin de face et il grossit dans le viseur   © Djépi

Je signale à Nad qui est penchée du même côté que moi et qui mitraille aussi, que l’heure n’est plus à la photo mais à la prudence. Nous remontons immédiatement nos vitres. Ugly Boy avance imperturbablement, 5 mètres, 3 mètres, 2 mètres. Le face à face… 

5 mètres, 3 mètres, 2 mètres. Le face à face…   © Djépi

Il bifurque pour contourner la voiture. Au niveau du phare gauche, partiellement dissimulé par la carrosserie, il s’arrête, gratte le sol des pattes arrière, s’accroupit pour laisser une carte de visite territoriale, gratte à nouveau et traverse la piste sans même se retourner.

Le message est limpide : ici, je suis chez moi et je suis le roi ; votre étrange pachyderme à roulettes est toléré, sans plus. A bon entendeur… 

Ugly Boy porte à l’aisselle droite l'héritage d’une entrevue avec un buffle  © Djépi

Un peu penauds, nous opérons un demi-tour et reprenons la route vers d’autres aventures. La journée en sera fertile.

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(1) Un lion mâle est adulte vers 3 ans. Il atteint son plein développement physique vers 7 ans, puis décline progressivement. A 12 ans, il est vieux, mais rares sont les lions en liberté qui atteignent cet âge. 

(2) Le poids moyen d’un lion mâle adulte est de 200 kg. Les plus imposants atteignent ou dépassent 220kg. Une lionne pèse environ 150 kg.

(3) On parle de coalition pour un groupe de lions mâles qui lient leur destin, notamment pour tenter de conquérir, ou pour assurer le contrôle d’une troupe de lionnes. Ils sont souvent issus du même groupe familial et sont donc frères ou cousins.

Pour les autres récits sur le parc national Kruger, cliquez ici.

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