Les ASSASSINS du MATIN

 

Lion. Parc National Kruger
De longues salves de rugissements m’avaient réveillé © Djépi

Photos et texte : Djépi

Cette première nuit au parc national Kruger nous avait d’emblée plongés dans l’ambiance : trois fois, de longues salves de rugissements m’avaient réveillé. La source semblait assez proche, mais dans la fraîcheur d’une nuit d’hiver, les sons graves et puissants des lions voyagent sur plusieurs kilomètres.

Peu après 6h, nous franchissions la grille du camp de Shingwedzi pour notre premier « drive ». Le concert nocturne me trottait encore dans la tête. 

Pour des lions résidents (1), les rugissements sont un moyen de faire savoir aux alentours qu’ils contrôlent une troupe de lionnes et son domaine de chasse. Au contraire, pour des mâles nomades (2) en recherche d’agréable compagnie, c’est un défi clair aux mâles installés. Bref, un signe de tension qui peut annoncer du rififi.

👀

Alors que le soleil se hissait péniblement au-dessus de l’horizon, nous avions arrêté pour assister au réveil d’un marabout perché sur un arbre mort. Tout engourdi, l’immense oiseau ne semblait pas décidé à démarrer si tôt sa journée.

Le réveil d’un marabout perché sur un arbre mort © Djépi 

Il est maintenant 7h15, nous roulons vers Red Rocks, bien en-dessous de la limite imposée des 40km/h, pour ne rien rater de ce qui croiserait notre route. En face, apparaît un véhicule dont le conducteur nous fait signe. Sans émotion particulière, comme s’il évoquait la belle journée qui s’annonce, il nous informe qu’un peu plus loin, deux lions sont sur une proie, juste à côté de la piste. 
Notre compte-tours cardiaque s’emballe illico et, après un bref thank you, nous repartons, les yeux grands ouverts. Malgré broussailles et buissons, nous repérons les félins sans la moindre difficulté : ils ne sont pas à plus de 20 mètres de la piste.

Lions sur une proie. Parc National Kruger
Ils ne sont pas à plus de 20 mètres de la piste   © Djépi 

Le premier est un mâle de grande taille à crinière blonde. Il est paisiblement couché dans les herbes sèches, alors que son compagnon, du même acabit, est occupé à se nourrir à côté. Celui-là a une crinière plus sombre et, de toute évidence, c’est lui qui a décroché le number one dans l’ordre de préséance.

Nous essayons de rester calmes, mais une telle observation dès la première heure de notre première sortie matinale nous fait quand même un peu trembler les mains ! Malgré la lumière mesurée, les photos s’accumulent déjà sur les cartes mémoires. 

Lion sur une proie. Parc National Kruger
C’est lui qui a décroché le number one dans l’ordre de préséance   © Djépi 

Ces lions ne sont pas des débutants : deux vieux guerriers portant sur tout le corps les cicatrices de multiples bagarres. Sur leur face, certaines blessures sont encore sanguinolentes. Seraient-elles liées d’une manière ou d’une autre aux concerts de rugissements de la nuit… ?

Lion. Parc National Kruger
Deux vieux guerriers portant les cicatrices de multiples bagarres  © Djépi

Je m’intéresse de plus près à la proie que Number One est occupé à dévorer. On entend le craquement des os sous l’effort des terribles mâchoires et le bruit râpeux de la langue féline arrachant les chairs. Je discerne mal car les herbes sont hautes, mais je distingue avec stupeur une fourrure fauve et des oreilles rondes. Et si la proie était aussi un lion ?! 

Nad, depuis la banquette arrière, modère mon émotion : cela pourrait correspondre à une hyène. Effectivement, les lions tuent régulièrement des hyènes mais ils ne les mangent quasi-jamais. Et la fourrure des hyènes est tachetée.

Lion cannibale. Parc National Kruger
Et si la proie était aussi un lion ?   © Djépi

Number One se lève brusquement et soulève la dépouille pour l’emporter à l’ombre d’un arbuste voisin. Pas le temps de saisir une bonne image, mais le doute s’efface : la victime est bien une lionne, ou un jeune lion. Je vois mieux maintenant le museau sans vie qui s’ouvre sur de longues canines, les rondes pattes de velours. Il me semble distinguer une toison souple et frisée sur le cou ensanglanté : la victime était un jeune mâle de deux ans au plus.

Lion sur une proie. Parc National Kruger
On entend le craquement des os sous l’effort des terribles mâchoires   © Djépi

Number One se relève et, calmement, Number Two prend sa place sur la dépouille. Ces deux-là se côtoient certainement depuis longtemps – peut-être depuis la naissance - et chacun connaît son rôle, sa place, son rang. 

Les entrailles traînent à l’écart et les morceaux choisis des cuisses ont servi de repas au dominant. Le successeur s’attaque à la cage thoracique. Après avoir testé les côtelettes, il s’en prend aux poumons. Sa gueule dégoutte de sang frais et rouge ; la dépouille est manifestement toute fraîche. Les assassins ont frappé au petit matin, un bref moment sans doute avant notre arrivée…

Les rugissements nocturnes, les balafres encore fraîches, le jeune lion au petit-déjeuner : autant de pièces qui viennent compléter le puzzle.

Lions sur une proie. Parc National Kruger
Ces deux-là se côtoient certainement depuis longtemps   © Djépi

Un ado de deux ans, tel que celui qui sert de repas, a environ la taille d’une lionne et sa crinière frémit à peine. Il vit au sein de la troupe de sa mère, en compagnie de ses tantes, frères et sœurs, cousins-cousines, et des mâles résidents dont l’un est son père. D’ici quelques mois ou un an, devenant un concurrent potentiel, il sera poussé vers la sortie par ceux-ci et il partira, en compagnie de ses frères et cousins de la même génération, mener une vie nomade. Si le destin leur sourit, s’ils évitent les cornes des buffles et les griffes des aînés, un jour peut-être, ils parviendront, eux aussi, à contrôler une troupe de femelles. Peut-être…

Lion sur une proie. Parc National Kruger
Number Two s’en prend aux poumons. Sa gueule dégoutte de sang frais et rouge   © Djépi

Un scénario plus cruel se déroule devant nous. Les deux coalisés (3) ont probablement pris il y a peu (quelques heures, jours, semaines ?) le contrôle du clan de Red Rocks en chassant les mâles résidents, ou en les éliminant.

Dans un tel cas, ils recherchent activement les lionceaux pour les tuer, afin que les lionnes redeviennent réceptives au plus vite. Et ils n’ont aucune pitié pour les mâles adolescents qui ne s’enfuient pas assez vite sur leur passage.

Lion cannibale. Parc National Kruger
Un scénario plus cruel se déroule devant nous   © Djépi

Les assassins ne portent que des griffures superficielles, peut-être distribuées par l’adolescent qui s’est vainement défendu, ou par des lionnes qui ne laissent pas tuer leurs petits sans tenter l’impossible. Un combat entre mâles adultes aurait probablement eu des séquelles plus visibles.

Lion. Parc National Kruger
Des griffures superficielles, peut-être distribuées par l’adolescent qui s’est vainement défendu   © Djépi

Number One est maintenant parti se coucher un peu à l’écart pour digérer, alors que Number Two termine le plat sans empressement. Malgré leurs multiples coutures, ils sont tous deux en magnifique condition physique, et ce n’est pas une faim tenaillante qui les a poussés au cannibalisme. C’est seulement un épisode de l’existence ultra-violente des lions mâles.

Lion. Parc National Kruger
Ils sont tous deux en magnifique condition physique   © Djépi

De notre présence à quelques mètres, de notre intrusive curiosité, ils ne se sont pas souciés le moins du monde. Nous avons juste récolté l’un ou l’autre regard vide d’expression, écrasant, terrassant. Le genre de regard qui vous fait comprendre ce que vous pesez réellement dans l’échelle des valeurs d’un lion de Kruger…

Lion. Parc National Kruger
Le genre de regard qui vous fait comprendre ce que vous pesez réellement © Djépi 

Il est 8h45, le soleil monte, il est temps pour nous de reprendre notre drive.

👀

  1. On parle de lions résidents pour les mâles qui partagent la vie d’une troupe de lionnes avec leurs jeunes. En moyenne, à Kruger, il y a 1,7 lion par troupe, mais le chiffre varie de 1 à 6, voire au-delà exceptionnellement.
  2. On parle de lions nomades pour les mâles vivant seuls, sans territoire établi. Ils sont généralement en petits groupes d’individus apparentés. Certaines femelles peuvent aussi être nomades.
  3. On parle de coalition pour un groupe de lions mâles qui lient leur destin, notamment pour tenter de conquérir ou pour assurer le contrôle d’une troupe de lionnes. Ils sont souvent issus du même groupe familial et sont donc frères ou cousins.

Lion. Parc National Kruger
Number One est parti se coucher un peu à l’écart © Djépi 
 
Pour les autres récits sur le parc national Kruger, cliquez ici








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