Le CHÂTEAU TRISTE

A travers les fenêtres éclatées, des tentures rouges flottent au vent comme des fanions de détresse. Les hauts murs de briques et le clocheton se hissent au-dessus des vieux arbres de ce qui fut un beau parc de trois hectares, baigné par le fleuve.

Des tentures rouges au vent, comme des fanions de détresse  © Djepi

Mais le temps s’est écoulé comme l’eau de la Meuse. Une hideuse voie rapide vomit son béton au long de la berge ; un quartier sombre et glauque, parmi les plus déshérités du pays, jouxte les grilles. Et le château n’est plus qu’une triste ruine, ouverte aux humeurs d’Eole.

Une triste ruine, ouverte aux humeurs d’Eole  © Djepi

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Malgré de longues recherches, je n’ai trouvé que de rares bribes d’informations sur son histoire. Il a dû être construit à la fin du 19è siècle (1) pour être la demeure de fonction d’un célèbre ingénieur liégeois, directeur des aciéries voisines. Il a connu la grandeur et l’inexorable décadence de la puissante sidérurgie locale dont les squelettes rouillés dorment à proximité.

Liste de noms et des sonnettes, multiplication de cloisons légères, de portes condamnées et d’installations sanitaires à l’intérieur : il fut ensuite soumis à un aménagement pragmatique et sans charme, mais heureusement superficiel, pour accueillir une quinzaine d’appartements.

Et puis, il fut abandonné. Pourquoi ? Quand ?  © Djepi

Et puis, il fut abandonné. Pourquoi ? Sans doute dans la débandade des faillites industrielles. Quand ? Dans les années ’90 probablement, puisque des documents de cette époque sont encore éparpillés ici et là. (2)

Alors ont déferlé les hordes de pillards et de vandales.

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Dans l’atmosphère décatie de la vaste salle d’entrée, je suis heurté par l’ampleur des dégâts. Plus aucun mobilier. Le plancher a été arraché sur presque toute la surface. 

Plus aucun mobilier. Le plancher a été arraché...  © Djepi

Plusieurs gros radiateurs gisent au sol, trop lourds pour être emportés, peut-être. Suite à un incendie localisé, le plafond d’une pièce voisine s’est effondré, rendant son accès périlleux.

Le plafond d’une pièce voisine s’est effondré.  © Djepi

Les vitres des belles grilles en fer forgé du couloir central ont été brisées. Les tessons qui restent accrochés captent les rayons d’un soleil que les seuils béants n’empêchent plus de rentrer. Je me retourne et suis surpris de trouver mon image sur une mosaïque de miroirs ayant échappé à la furie des destructeurs.

Les tessons accrochés captent les rayons du soleil.  © Djepi

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Avec circonspection, je gravis les marches d’un bel escalier de bois qui semble toujours solide puis dépasse une haute porte de chêne menant à une aile du bâtiment particulièrement sinistrée. 

Une aile du bâtiment particulièrement sinistrée  © Djepi

Je rencontre un portail de verre et fer forgé qui a pu miraculeusement conserver une partie de son prestige. En équilibre sur les poutres massives qui portaient le plancher, je parviens à une élégante porte blanche qui porte encore un miroir au tain rongé par les années. 

Un miroir au tain rongé par les années  © Djepi

Devant une fenêtre défunte de ses glaces, un store, sale et moderne, s’abandonne à la caresse du vent. Plus loin, j’entre dans une grande chambre aux murs bleu vif décorés de moulures un peu kitch.  

Un store s’abandonne à la caresse du vent.  © Djepi

Aux alentours, le saccage est hallucinant. Je peux comprendre les voleurs qui ont profité des parquets, des sanitaires… Mais quelle rage au cœur animait ceux qui sont venus ici dans le seul but d’arracher, briser et détruire ? Pensaient-ils venger leur misère présente en défigurant le témoin d’une richesse passée ? Voulaient-ils effacer les marques d’un prestige dont ils ne bénéficieront jamais ?

Quelle rage au cœur animait ceux qui sont venus ici ? © Djepi 

Je me hisse par un escalier étroit et encombré de gravats pour atteindre les combles du clocheton. Aménagés en une lumineuse chambre moderne dont les lucarnes regardent passer la Meuse, ils sont presqu’intouchés. Quelques valeureux urbexeurs en quête de reconnaissance ont cru utile de signer leur visite. Le WC de la salle d’eau n’a « même pas » été volé…

Les lucarnes regardent passer la Meuse.  © Djepi

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Je redescends vers le rez-de chaussée dévasté et sors dans le parc pour faire le tour du château. Il n’a sans doute jamais été très élégant, mais il a gardé fière allure avec son style sobre, son clocheton élancé et ses cadres de fenêtre en pierre. La toiture d’ardoises est intacte et aucune lézarde ne rampe sur les murs. On savait construire, en ces temps-là.

Il a gardé fière allure. © Djepi

Le passé du château triste fut indubitablement prospère. Son présent est lamentable, mais son futur semble sortir des voiles de l’oubli. Bientôt, débuteront des travaux visant à le restaurer, lui, son parc et les autres bâtiments désaffectés sans charme qui l’environnent, pour en faire un vivant quartier estudiantin, au cœur des friches industrielles. Espérons que, plutôt que l’effacer, l’aménagement fasse justice à l’histoire.


(1) Absente en 1850, une construction apparaît sur une carte de 1865.

(2) En 1994, une photo aérienne montre des voitures stationnées près du château. En 2001, aucune trace d'activité.

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Voyez mes autres reportages Urban Exploration 

https://reflexephoto.blogspot.com/search/label/Urban%20Exploration

Pêle-mêle


Ce qui fut un beau parc de trois hectares  © Djepi


Il a connu la grandeur et la décadence de la sidérurgie locale.  © Djepi


Surpris de trouver mon image sur une mosaïque de miroirs © Djepi
 

Un soleil que les seuils béants n’empêchent plus de rentrer © Djepi 

Un portail qui a pu conserver une partie de son prestige  © Djepi


Une grande chambre aux murs bleu vif  © Djepi

Un escalier étroit et encombré de gravats  © Djepi


Une lumineuse chambre moderne  © Djepi


Le WC n’a « même pas » été volé…  © Djepi

Vers le rez-de chaussée dévasté  © Djepi

Son présent est lamentable  © Djepi

Espérons que l’aménagement fasse justice à l’histoire.  © Djepi


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