Echos du brame à Han, épisode 14/14 : le film en accéléré

Le film en accéléré

16 octobre. Les échos du brame émanant de la plaine de La Chavée ne sont plus guère que de vagues bredouillements. La plupart des cerfs ont regagné leur clan, sur les coteaux boisés. JL surveille encore la harde et Joli14, affalé à la périphérie, fait partie intégrante du décor. Une poignée d’ados traînent aux alentours.

Le raire du daim évoque un grognement de cochon. © Djepi

Un cri étrange émanant du sous-bois m’agresse les tympans : une sorte de grognement porcin surpuissant. A une centaine de mètres, entre les arbres, dans une ombre épaisse, je distingue de l’agitation. Des silhouettes claires vont et viennent, semblant se poursuivre. Je me poste discrètement contre le large tronc rugueux d’un pin sylvestre, je sors les jumelles : les daims sont en rut.

Le splendide animal n’est pas indigène. Originaire du Moyen-Orient, il a été introduit il y a bien longtemps pour le plaisir des châtelains et celui des chasseurs. On le trouve maintenant ici et là dans nos forêts, souvent échappé de captivité, ainsi que dans des domaines comme celui de Han sur Lesse. Plus encore que celle du cerf, la livrée du daim est de couleur variable; certains animaux sont très clairs, d’autres fort foncés, d’autres encore « panachés ».

La livrée des daims est très variable. © Djepi

Les grognements augmentent en volume et en cadence et j’entends soudain un étrange raffut, comme si quelqu’un déménageait sans ménagement un vieux sommier métallique. 

En contrebas sur ma droite, il y a du remue-ménage. Deux daims mâles s’affrontent de part et d’autre d’une clôture. Avec une vigueur étonnante, les gracieux animaux se jettent l’un contre l’autre, tête en avant. Aux alentours, les daines vaquent à leurs occupations, comme si de rien n’était. Le mâle qui est de mon côté de l’obstacle porte une robe claire, avec une face sombre. Je le baptise Blackface. Le concurrent, qui me semble plus grand, a un pelage obscur. La joute s’interrompt, puis reprend de plus belle et un des piquets de clôture est soulevé du sol par les chocs. Enfin, cela s’apaise et les deux mâles haletants retournent à leur harem respectif.

Comme les cerfs, il est fréquent que les daims s'affrontent de part et d'autre d'une clôture. © Djepi

Une daine est en chaleur et Blackface la suit de près, égrenant sans cesse ses raires porcins. Motivé par les effluves, un daguet se rapproche et, immédiatement, Blackface interrompt sa cour à la belle pour l’expulser vigoureusement. Puis il reprend sa parade, marchant comme un cheval de cirque. Il agite le pinceau de poils noirs qui orne son pénis et sur son cou, ce que je prends pour sa glotte joue à l’ascenseur.

Le daim est une espèce très élégante. © Djepi

Peu concernées par toute cette agitation, les autres femelles font mouvement et s’approchent de moi. Je rentre la tête et me fige, car les animaux ne sont pas très tolérants à la présence de visiteurs. Je profite des instants de proximité pour admirer leur magnifique silhouette et je me dis que, si j’étais Blackface…

Justement, la daine en œstrus s’est enfin arrêtée et il a pu poser le menton sur son échine. Elle ne se défile pas et Blackface comprend parfaitement le message. Prestement, il se dresse, pose la poitrine sur sa croupe et m’offre, entre deux arbres, le bref spectacle d’une saillie. En quelques secondes, c’est terminé et le manège du rut reprend son cours.

Blackface peut conclure ... © Djepi

Écologiquement et comportementalement, le daim et le cerf élaphe sont fort proches. Moins sonore et sans doute moins impressionnant que le brame, le rut du daim est nettement plus actif, plus mouvementé. C’est un peu comme le film du brame passé en accéléré. Les combats sont plus fréquents et très violents, mais les bois des daims sont des armes moins dangereuses que ceux des cerfs. Comme chez le cerf, les subalternes et les jeunes sont expulsés par les mâles dominants qui veillent jalousement sur leur harem. Les saillies ont lieu de jour comme de nuit.

La lumière dégringole et même l’escalade des ISO ne me permet plus de photographier le spectacle qui se prolonge dans le sous-bois. En bas, dans le méandre recoupé, j’entends de sèches déflagrations. Ce ne sont pas les cerfs, mais les mouflons mâles qui s’affrontent dans des joutes homériques qui peuvent rassembler 6 ou 10 concurrents. De véritables mêlées de rugby ! Petits à petits, les béliers les plus puissants émergeront du lot et gagneront le droit de s’isoler avec une brebis.

Le rut du daim est un peu comme le brame du cerf passé en accéléré. © Djepi

Je replie le trépied et descend le sentier qui me mène vers la sortie.