Brame 2021 à Han. Episode 2/4 : le dernier combat

Le dernier combat

Les premiers rayons bas du soleil peinent à trouver leur chemin dans la masse cotonneuse qui a envahi l’aube, mais le son me parvient 5 sur 5 et je comprends que plusieurs cerfs sont sur la brèche. Joli 14 est là, tout proche de moi, sa silhouette se dessine comme une estampe japonaise sur le fond ouateux. Il brame et fait les cent pas, mais il est désespérément seul.

Le brame 2021 fut très décevant pour Joli 14...© Djepi

Des hauteurs du coteau descend un roulement de basses fréquences. Un tel coffre ne trompe pas : Le Crabe se rappelle à mon souvenir.

Alors que le voile se déchire peu à peu, un cerf gris, laqué de boue et portant 12 cors sort en trottant de l’épicentre du brame et se dirige prestement vers la rivière. Brisefer revendique à nouveau une part du gâteau mais risque fort, cette année encore, de devoir se coucher sans dessert.

Après une nuit sans résultat, Brisefer quitte la scène. © Djepi

Je vois maintenant distinctement les deux acteurs les plus en voix, entourés des belles spectatrices auxquelles sont dédiées leurs tirades enflammées.

La situation a peu évolué depuis hier au soir : Papy défie JL qui contrôle l’essentiel de la harde. Pour le vieux bagarreur, la nuit a dû être compliquée car sa cour se limite désormais à un maigre trio familial biche-bichette-faon.

JL (à gauche) contrôle l'essentiel de la harde de biches. Mais Papy (à droite) n'a pas dit son dernier mot. © Djepi

 

La convoitise entraîne le vieux cerf vers le groupe principal, et JL s’interpose immédiatement. Sans broncher, tête haute, Papy poursuit son avance et les rivaux se retrouvent une nouvelle fois à arpenter la pâture de haut en bas, de bas en haut, en marche parallèle. Le tonitruant manège se prolonge comme la veille, et mon attention se relâche un peu. 

JL (devant) et papy se mesurent durant un n-ième épisode de marche parallèle. © Djepi

Alors que les protagonistes s’approchent de la lisière, un sixième sens me fait corriger machinalement la visée du téléobjectif et, au même instant, sans préalable, les deux cerfs baissent la tête. Avant que le claquement des bois qui s’entrechoquent ne résonne au flanc du coteau, mon doigt presse déjà nerveusement le déclencheur.

En une fraction de seconde, les têtes se sont baissées et les cerfs s'affrontent. Papy est à gauche, JL à droite. J'avais pressenti le choc et pressé le déclencheur. © Djepi

C’est Papy qui a dû opérer la première poussée car JL a légèrement reculé. D’abord asymétrique, la prise des bois se stabilise. Moins écartés, les chandeliers de Papy ont engagé les médians de JL. Il n’y a aucun risque de blessure pour les animaux qui balancent la tête et pivotent légèrement afin d'améliorer leur prise, tout en veillant à ne jamais se placer plus bas que l’adversaire dans la pente. JL a rapidement redressé la situation et Papy ne gagne plus un pouce, quoiqu’il réitère ses poussées à toute force, arrachant des touffes d’herbe avec les sabots.

Pour essayer de faire reculer la masse de JL, Papy (à gauche), écarte les pattes arrière et s'arcboute. © Djepi

Je ne sais lequel des rivaux en a pris l’initiative, mais les bois se sont dégagés pour entreprendre immédiatement une nouvelle attaque. Cette fois, c’est JL qui pousse et Papy a toutes les peines du monde à résister. Plus petit et plus léger, il écarte au maximum les pattes arrière pour mieux s’arrimer au sol et pouvoir résister à la charge du colosse qu’il affronte. Il y parvient et ne cède presque rien. Mais cette fois, les ramures des cerfs sont engagées nettement plus loin, surandouillers contre surandouillers. 

Alors que les pointes du chandeliers droit de Papy (à gauche) labourent les épaules de JL, l'andouiller de massacre gauche de celui-ci frôle l’œil de son adversaire. © Djepi

 

Un moment, les épois du chandelier gauche de JL labourent l’épaisse toison qui, comme une armure, protège les épaules de Papy. L’instant suivant, ce sont les pointes droites de Papy qui herponnent l’épaule velue de JL. Mais il y a plus préoccupant… Alors que JL est équipé de puissants surandouillers, ceux de Papy sont courts et faibles et le protègent mal. Les lances acérées des andouillers d’attaque du n°1 griffent le visage du vieux cerf et passent à 2 cm de son œil, qu’il tient fermé par une bien illusoire précaution. Je comprends mieux les cicatrices qu’il porte à cet endroit depuis l’automne 2019…

Malgré tous ses efforts, Papy (à gauche) ne parviendra pas à bousculer le puissant JL. © Djepi

 

Papy s’arcboute de toutes ses forces mais est incapable de déplacer la masse furieuse de JL. Et malgré ses tentatives, celui-ci ne parvient pas davantage à faire reculer la rage de Papy. Après une petite minute de frénésie agressive, le combat prend fin, sans vainqueur. Papy, pantelant, retourne à son trio et JL à son harpail. Les ennemis s’en sortent avec de simples égratignures et sans même une blessure d’orgueil.

Après une minute de furie, le combat prend fin, sans vainqueur. © Djepi

Mais c’est JL qui tire les marrons du feu. Frustré sans doute de ne pas avoir vu son courage mieux récompensé, Papy passe sa hargne sur ses compagnes qui s’empressent de rechercher la protection de JL. Il ne lui reste qu’à s’écarter de quelques pas et attendre une autre opportunité.

Épuisé, pantelant, Papy s’éloigne de la harde. © Djepi

Encore et encore, à chacune de mes visites durant 10 jours, j’ai vu un Papy solitaire aller défier JL et l’emmener en marche parallèle. 20 fois, 50 fois, JL a proposé le combat et le plus souvent, Papy l’a refusé, mais sans se retirer. Les gardes m’ont cependant raconté que les grands cerfs s’étaient affrontés à d’autres reprises, toujours avec le même score de match nul, et sans dégâts.

Titillé par Joli 14, agacé par Brisefer et de plus petits cerfs, JL me paraissait de plus en plus fatigué, contrôlant l harde de plus loin. Et Papy était toujours là, sur ses talons, à le provoquer sans cesse, tout en écartant vigoureusement les autres prétendants. Je pensais que le vent allait tourner et que JL allait devoir céder la place au vieil obstiné, mais le 28 septembre, après 10 jours de lutte continue, Papy avait abandonné. Il avait laissé son poste à un freluquet, et les biches à JL. Il était retourné avec le groupe des célibataires résignés dont il est le dominant incontesté.

Après 10 jours de luttes incessantes contre JL, Papy devra se retirer. Le vieux baroudeur a-t-il perdu sa dernière guerre...? © Djepi

 

Le vieux combattant venait de perdre ce qui sera probablement sa dernière grande guerre…